La vulnérabilité en partage

Pour Paul-Serge Ponrouch, en hommage amical

   La vulnérabilité est plurielle. À première vue, le vulnérable souffre de ne pouvoir rien d’autre que subir. Il est au monde comme dépendant. Son identité est ce « subir », social, psychologique, pathologique, altéré par la douleur du corps qui envahit son existence ; le tunnel où le sens s’obscurcit et les priorités basculent ; la marginalisation s’ajoute à l’épreuve des limites et du resserrement des possibles.

Par delà toutes les formes de vulnérabilité, prenons pour exemple celle du malade. Face à cette situation, soulager, guérir, redonner à vivre un rapport au monde serein, élargir les possibles, tout cela constitue un ensemble de tâches, un affairement qui requiert connaissances et compétences, face ou au côté de l’être exposé à la maladie, à l’altération physique, à la détresse. Ultimement à la mort.

Face à la fragilité du malade, se révèle encore la vulnérabilité du soignant ou de l’accompagnant. Se faire le prochain du souffrant, vulnérable, défiguré, auquel on ne voudrait pas ressembler, relève d’une décision. Cette présence à la présence de l’autre, s’ouvrant aux signes ténus de la singularité, cherche maladroitement la parole la plus adaptée. S’approcher et demeurer ne va pas de soi. C’est redonner l’humanité à l’inquiétante étrangeté. En regard du malade, le soignant, qu’il soit aide-soignant ou accompagnateur, médecin ou infirmier, est exposé à la souffrance de l’autre. C’est la condition particulière du soignant, son pain quotidien. Être exposé à l’altération qu’est la relation elle-même, voilà ce qui lie le malade et le soignant, dans un lien où chacun est à la fois agent et patient.

L’examen de la relation de soin nous invite à une « phénoménologie du soi affecté par l’autre que soi »  (cf. Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990). Autrui nous affecte malgré nous. L’éthique de la proximité cherche ainsi à inclure dans un « nous » celui qui ne peut pas, ou qui ne peut plus dire « je ». Tenir l’humanité en l’autre, là où elle semble s’effacer, c’est tenir à l’autre, par ce mouvement d’estime qui reconnaît que son existence compte pour nous, le monde. Tenir l’humanité en l’autre, c’est encore maintenir un lien, faire en sorte qu’il ne tombe pas « hors du monde ».

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