Pour Valentine de Braquilanges, en hommage amical

   À entendre le général de Gaulle, qu’aime à répéter Alain Delon, « la vieillesse est un naufrage ». Pourquoi ? Parce que le vieillissement est une dégradation tant sur le plan physique que psychologique. Comment ne pas admettre que, pour une part, l’angoisse qu’il procure relève de la pulsion de vie ?

Depuis le XIXe siècle, on se penche sur ce phénomène en prenant soin de distinguer le vieillissement comme processus, et la vieillesse, en tant qu’état. S’entendre dire que « on est vieux, mon cher » peut agacer, voire affliger, et l’on se prend à insister pour sauver quelque chose de soi en soulignant que le terme de vieillesse s’accorde à l’âge physique, alors que l’âge mental est plus vert qu’un printemps luxuriant.

Partant, l’approche du vieillissement requiert  les données de multiples disciplines, la biologie, la psychologie, la sociologie, la démographie, l’histoire, l’économie. 

Sans identifier la vieillesse à la maladie d’Alzheimer, dont on croit être atteint dès lors qu’on oublie la liste des courses, l’évolution de l’âge entraîne une modification du regard sur des phénomènes d’autrefois. Si les symptômes sont souvent déniés, ce qui est en jeu relève de la manière dont on aborde les souvenirs, en fonction de ses angoisses, ou même des représentations sociales.

En parlant des vieux, les médias stigmatisent la vieillesse, à l’occasion de la canicule, de la maltraitance, des bavures au sein d’une maison de retraite, et bien sûr des problèmes financiers qu’entraînent des gens qu’on classe depuis peu comme des « non-actifs. » 

S. Freud avançait que le symptôme témoigne d’une tentative d’auto-guérison du sujet avec ses propres moyens à un moment donné de sa vie. Le déficit des capacités physiques et intellectuelles attise l’intérêt scientifique croissant pour les modèles cognitifs, qui visent à évaluer les dysfonctionnements, à les conceptualiser, à les classer dans des catégories. 

Plus fondamentalement, le vieillissement cristallise des angoisses, celles qu’on a trimbalées tout au long de la vie. S’ajoute l’angoisse liée à la conscientisation de la dépendance et de son corolaire, l’angoisse d’abandon total dans la maladie d’Alzheimer et celle de « finir ses jours en institution », l’angoisse de mort. La vieillesse serait donc étroitement associée à l’asservissement, factorisé par l’entrée en institution, et à la mort.

Notre histoire part à l’origine de la dépendance absolue du nourrisson pour finir par une situation de dépendance relative. Celle-ci fait vivre au sujet la précarité de sa condition (S. Freud parle de sentiment de « désaide », de détresse, i.e. de perte de l’aide apportée par un autre secourable). L’indépendance s’acquiert à certaines conditions qui ne dépendent pas que du sujet. En regard de la perte d’autonomie on se trouve devant la menace qui fait craindre le risque d’être abandonné, et de perdre toute autosuffisance. L’expérience que le sujet a du vieillissement tient pour une part à l’observation qu’il a pu faire de ses parents et de ses proches, d’autre part à ce qu’il vit, dans la relation à ses objets d’amour, à la société qui l’entoure, et à son propre corps fragilisé, éphémère, promis au délitement.

Dès lors, le vieillissement risque de réactualiser la dépendance dans la réalité et dans le psychisme. Certaines personnes âgées adoptent une position de subordination vis-à-vis de l’entourage proche, elles abdiquent en quelque  sorte. Elles renforcent le lien de dépendance pour mieux se préserver de l’abandon qui les hante. D’autres, à l’opposé, refusent tout net tout signe de dépendance, repoussant même l’intervention de professionnels de la gérontologie ; il leur arrive même d’opter pour la maison de retraite afin d’éviter la dévalorisation que leur causerait la remise de soi aux enfants. 

En résumé, se pose une question. La dépendance dans la vieillesse est-elle seulement un fait qui nous tombe dessus, inéluctablement ? N’est-ce pas aussi une anticipation et une angoisse, qui réactualise des angoisses infantiles ?

 

Gérard Leroy, le 5 octobre 2019