Pour Nicole Cathala, en hommage amical
Le pluralisme religieux aura été le grand défi pour la théologie et pour la mission de l’Eglise au cours du XXe siècle, véhiculant de nouvelles religiosités qui se multiplient un peu partout, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, tandis que les grandes religions du monde connaissent un regain de vitalité. Cette nouvelle conscience du pluralisme est en lien étroit avec le processus de mondialisation qui affecte toutes nos sociétés.
Grâce à un réseau de communication toujours plus performant, on assiste à l’émergence d’un super-marché du religieux qui propose à des consommateurs toujours plus nombreux les produits multiples des religions vivantes et des diverses traditions ésotériques en matière de mythes, de croyances, de pratiques, de secrets initiatiques, de techniques de guérison de l’âme et du corps. Cet engouement pour le religieux dans tous ses états coïncide avec le discrédit des idéologies et des utopies, voire du scientisme. L’inculture ambiante favorise un bricolage souvent étrange entre des croyances et des pratiques détachées de leurs lieux d’origine. Les croyances sont flottantes et leurs frontières deviennent si fluides qu’elles peuvent coexister et même fusionner sans égard pour leur hétérogénéité.
Le pluralisme religieux apparaît toujours comme le grand défi pour la théologie et pour la mission de l’Eglise en ce XXIe siècle. Aussi s’impose la distinction des nouvelles religiosités qui se multiplient. Si la modernité reste marquée par la sécularisation, elle est paradoxalement placée sous le signe du retour à la question du sens. Il y a, comme inscrit au cœur de l’homme, une quête incoercible de sacré. C’est dans la tension de ce paradoxe que surgissent de nouveaux courants, ésotériques, plus ou moins sectaires. La « nébuleuse mystique ésotérique »(1) au sein de laquelle les croyances se mêlent aux techniques corporelles et aux psychothérapies, témoigne du déracinement de l'homme moderne qui cherche une certaine forme de salut individuel dans l'irrationnel et à travers la quête d'un sacré sauvage.
Derrière cet éclectisme, on découvre vite un critère de choix ; il s’agit en premier lieu de l’authenticité d’une expérience personnelle en quête d’un certain salut au sens d’un mieux-être de l’âme et du corps. Il faut comprendre la tentation syncrétiste actuelle comme un perpétuel travail de ré-interprétation des croyances les plus diverses au service d’une libération personnelle. Peu importe la crédibilité de telle ou telle croyance, peu importe son lien avec tel ou tel système religieux. Le seul critère, c’est le surcroît d’être que chacun peut espérer lié à ses potentialités les plus intimes. Les chrétiens eux-mêmes ne sont pas à l’abri de cette tentation syncrétiste. En Amérique latine et en Afrique, on observe la naissance de nouvelles Eglises évangéliques ou protestantes ou de nouvelles communautés à l’écart de l’Eglise catholique. À la différence des mouvements religieux d’Occident, les membres de ces nouvelles communautés ne sont pas des personnes relativement aisées sur le plan matériel ou culturel. Il s’agit de nécessiteux et de marginaux en quête de reconnaissance comme sujets individuels, de guérison à la fois corporelle et spirituelle, en quête d’une reconnaissance et d’une vraie convivialité.
Cette quête religieuse qui ne trouve pas sa réponse dans les Eglises officielles doit nous interroger quant à la crédibilité du christianisme le plus communément répandu, en Occident comme ailleurs. Un certain christianisme coupé de ses racines bibliques répond mal en effet aux aspirations spirituelles de beaucoup de nos contemporains qui, en réaction à un monde majoritairement positiviste, sécularisé et planifié, est en quête d’un vaste réenchantement du monde, de l’homme et de Dieu.
Gérard Leroy, le 21 juillet 2023
(1) l’expression est de la sociologue française Françoise Champion.