Pour Muhammad Hanou, en hommage amical

   Il en est de certains hommes comme de ces ballons offerts par le marchand de chaussures à son client qui n’a plus qu’à souffler dedans pour que le ballon s’envole. À condition de les bien gonfler.

Car il faut savoir gonfler. Gonfler les histoires, gonfler les chiffres, les statistiques, gonfler les notes de frais, gonfler les infos. On dit de certains poseurs qu’il sont gonflés parce qu’ils sont pleins d’eux mêmes. Mais il suffit d’une brindille, d’une pointe d’épingle pour qu’ils se dégonflent et retombent au sol, brutalement. Certains hommes ? Il s’agit bien, à certains moments de la vie, de chacun de nous.

Il en est de certaines prières ce qu’il en est des montgolfières. Elles grimpent au ciel, comme des ballons, à coup de litanies comme à coup de chaleur. Il arrive que « l’orant », ou le priant, en vienne à marquer sa condescendance à l’égard de celles et ceux qui se montrent incapables de décoller des futilités de ce bas monde. D’un air de dire : « Vous n’avez donc pas perçu où je me situe ? ». Il y eut une prière que lisaient mes parents à chaque messe dominicale, qui disait à peu près ceci : « Merci Seigneur de ne pas me mêler à ceux dont la main est pleine de présents et l’autre pleine de sang ». Banco. J’ai tiré le bon numéro ! C’est ce que déclare le pharisien de la parabole, diplômé des grandes écoles de prières. Un Pater, Trois Ave, péché pardonné. Plus besoin de se recueillir, ni même de penser à Dieu, tant on est pris par sa performance spirituelle. On ne peut pas penser à tout. On connaît les oraisons par cœur et l’on est prêt à parier qu’on en sait plus que les autres.

Le Père fouettard n’a plus qu’à compter les points.

Le Miséricordieux, lui, qui se rend compte de ce manège, tourne les yeux vers celui du fond, accroupi près du bénitier, sous sa casquette sale qui fait tache avec les habits du dimanche. Il n’est pas grand-chose et on le lui a fait savoir. Depuis des années il essaie pourtant de changer, à coup de résolutions en béton. Il n’y parvient pas. Alors ce matin, il est là, comme à son habitude. Il ne chante pas. D’ailleurs il chanterait faux les cantiques de l’assemblée. Et puis il n’a jamais appris le latin. Ses lèvres alors remuent pour laisser échapper dans un souffle trop court pour gonfler des ballons : « Seigneur, prends pitié du pécheur que je suis. »

Vers qui se tourne le Seigneur à votre avis ? Vers celui qui peut bomber le torse parce qu’il s’est conformé à la loi ? Et abandonner à sa plainte un Job en détresse ? Ou vers le manant sous le bénitier ? Lequel est « Juste » ?

Gérard Leroy, le 7 mai 2021