Pour Catherine Levesque, en hommage amical
Notre histoire présente semble raviver la nostalgie totalitaire exprimée ça et là au cœur de l’Europe depuis la seconde guerre mondiale. Le fascisme, comme un volcan qui dort, et la guerre, cultivent ce fléau meurtrier. C’est la situation que nous vivons aujourd’hui. L’« opération spéciale », n’est que le paravent d’une guerre surprise au cœur de l’Europe, et réveille la macabre nostalgie totalitaire. La menace se lève à l’Est. L’ombre s’étend sur le monde.
Les religions sont, elles aussi, menacées. Le totalitarisme s’autorise en effet —que ne s’autorise-t-il pas ?— à violer la liberté religieuse dans près d’un tiers des pays du monde Les minorités religieuses souffrent, de suspicion, de restrictions financières, de manipulations politiques voire de persécutions dans 61 pays du monde ! «Nous vivons maintenant un tournant anthropologique qui semble vouloir remettre en question la foi elle-même».
Que faire, et comment faire ?
Il en va de la responsabilité de tout croyant de comprendre l'histoire en cours, de saisir la nécessité d'élaborer une culture adéquate, fût-elle sans précédent.
En quoi nous éclaire l’Évangile ? Les paraboles de Matthieu, celle du bon grain et de l'ivraie, de la graine de moutarde et du levain, explicitent le Royaume des cieux « mêlé à notre histoire», en montrant la nécessité de discerner les différents modes d’être dans le monde et la patience de la foi. Le respect de cet espace conditionne l’histoire.
Jésus, lui, ne cherche pas à accéder à un pouvoir sur la société. Son messianisme n'est pas politique, son royaume n’est pas de ce monde. Mais il n’élude pas d’un revers de main les problèmes sociaux et politiques. Il conçoit la présence du Royaume des cieux dans l’histoire. Le messianisme de Jésus s’adresse à la personne qui partage ses propres moments de vie avec Dieu, Lequel est venu se mêler à l'histoire commune de l’humanité. Dieu n'a pas besoin de ceux qui le justifient, mais de « porte-paroles », autrement dit de ceux qui répandent et accomplissent sa parole, hic et nunc.
Dans le prolongement nous sommes invités à délester le langage ecclésiastique de l’autoritarisme, du dogmatisme, de cette sorte de suprémacisme qu’on perçoit dans la conscience sociale qui singularise le chrétien. Ouvrir les portes, décoincer nos consciences, cesser de vivre entre soi. Faire demi-tour, et plutôt que de recueillir, accueillir. Multiplier les lieux de rencontre, initier et susciter les occasions de réflexion commune, à la fois sur les questions civiles et sociales. En regard de la foi. Le synode devrait être l'expression de tout cela.
Le développement démocratique de la société civile et des institutions fait appel à des femmes et des hommes dont la foi témoigne sans chercher des accommodements. dans tous les domaines de la vie commune. Leur foi est appelée à convaincre que sans elle cette société ne sera pas meilleure.
L’obstacle ? L’individualisme présent, qui ne favorise pas la liberté, laquelle ne peut s’entendre isolément. Les droits de l'homme ne sont tels que s'ils sont d'abord les droits de l'autre homme. Cette approche n'est possible que dans un contexte où la pensée s’élabore à travers le dialogue, qui permet de parvenir à l'indispensable conciliation de la vérité avec la justice, et de la politique avec l’éthique. À la lecture de ces paraboles révélant le Royaume des cieux, nous découvrons où prend sa source le désir de la pleine dignité humaine ; là où vit l'amour de la liberté des personnes et des peuples, à travers le droit et la justice ; là où vit la compassion pour les autres, qui est déjà un désir de Dieu. « Dieu divinise, l’Esprit spiritualise, ce que l’homme humanise » écrivait le P. Varillon.
Gérard Leroy, le 9 septembre 2023