Pour Danièle Bouvier, en hommage amical

   Le théâtre athénien ne se tient pas à l’écart de ce thème. Le théâtre est comme un monument religieux, qui tient du caractère sacré des temples, où les représentations dramatiques relèvent d’ailleurs des cérémonies cultuelles en l’honneur de la divinité.

Dans la tragédie grecque, que ce soit sous la signature d’Eschyle, de Sophocle ou d’Euripide, on observe les trois grands types de rapport au temps représentés.

C’est au Ve s. que le théâtre grec peut s’honorer de la production d’Eschyle (525-456 av. J.-C.) dont il ne nous reste que sept pièces sur la centaine qu’il aurait écrites. Ses tragédies insistent sur le poids du passé, sur le rôle des oracles qui finissent toujours par se réaliser. Ce qui se passe s’explique par des oracles, et la tragédie oblige constamment à des retours en arrière. En lisant ses vers on se prend à faire un voyage dans la Grèce antique, agrémenté d’une revue de sa mythologie, où se mêlent tout à la fois la souveraineté des dieux, les querelles haineuses des familles, et l’inéluctabilité du destin. Eschyle a le souci de respecter les dieux, désignant les hôtes de l’Olympe comme des grands régulateurs de l’histoire. Retenons encore de ses œuvres, celle qu’il a intitulée Les Perses, où il peint le désastre de l’Achéménide Xerxès dans le détroit de Salamine.

Ce père de la tragédie n’est pas tombé dans l’oubli. Claudel a traduit l’ Agamemnon, Péguy un poème qui préfigure la parole du Christ, jusqu’à Simone Weil qui, analysant l’œuvre d’Eschyle, a vu dans l’histoire de Prométhée enchaîné l’agneau égorgé de la passion du Christ.

Œdipe et Antigone sont les pièces maîtresses de Sophocle (497-406 av. J.-C.). Les héros posent le destin comme question, d’autres comme accomplissement, ou les deux, mesurant le rapport de forces établi entre les événements et l’homme, qui les subit ou qui les maîtrise. Les dieux et leurs oracles n’ont plus un rôle aussi prépondérant dans la conduite des affaires humaines ; les causes des faits résident dans les intérêts et les passions des hommes qui, par leur imprudence, provoquent des drames. Si bien qu’il se dégage de ces tragédies une impression d’instabilité dans la prospérité humaine, « en voyant ton malheur à toi, je n’estimerai plus heureux aucun mortel avant sa mort ». Sophocle nous a transmis une tradition qui durera longtemps dans la composition des pièces de théâtre. C’est en effet lui qui inaugura l’unité de lieu, de temps et d’action qui fut respectée par tout le théâtre jusqu’au XXe siècle.

Euripide (480 à 406 av. J.-C.) est contemporain et concurrent de Sophocle. Les copies de ses pièces passent de main en main entre les Athéniens, comme une monnaie, en échange de nourriture. Même Sparte reconnaît Euripide comme un immense poète, audacieux, novateur, créant des scènes d’horreur comme on en n’avait jamais vues auparavant, où Médée délaissée par Jason pour la fille de Créon a préparé sa funeste vengeance en empoisonnant la fille de Créon et son père qui moururent dans d'atroces souffrances ; ses propres enfants disparaissant ensuite, pour mieux broyer le coeur de l’époux emporté par des dragons, le cadavre de ses fils à ses pieds. Exilé en Macédoine, Euripide y meurt, la même année que Sophocle !

Aristophane (445-385) se distingue de ses aînés, comprenant que le rire est une arme, dont il se sert et qu’il offre au peuple pour se moquer des dieux. Protagoras a fait des émules ! Aristophane se démarque en effet par un anticonformisme prononcé qui fait de lui, selon Christophe Barbier, « l’ancêtre de l’absurde », que les modernes Giraudoux et Anouilh sauront talentueusement copier.

Les crises politiques et sociales que traverse Athènes en ce temps sont exprimées par la belle Lysistrata qui se révolte contre la domination des hommes jusqu’à demander à ses congénères de se refuser à leurs maris. La scène est pour Aristophane l’outil de prédilection pour confondre les affres de la vie politique de sa cité à un moment où la Grèce est divisée depuis le VIIe s. av. J.-C., et dont les multiples empoignades aboutiront à la domination d’Athènes. Le théâtre d’Aristophane est à la fois une évocation de la vie politique et intellectuelle de sa cité et une critique subtile.

 

Gérard Leroy, le 11 août 2023