Article, stimulant, de Xavier Larère, que nous remercions vivement

   Vouloir quitter sa religion, n'est-ce pas, par-dessus tout, désirer emporter le feu (intuition de Cocteau) ? N'est-ce pas d'abord se débarrasser de toutes les fausses images et représentations de Dieu ? 

Si Dieu a quand même un tout petit peu d’humanité, il a dû mal dormir pendant des siècles, et sursauter sur son trône en découvrant cet hymne proposé par le Magnificat : « ….le Fils que Dieu, plein de tendresse, nous a livré. » Heureusement que c’est un Dieu « plein de tendresse » ! Mais Dieu, dans la perception de la révélation qu’avaient alors les hommes, n’était peut-être pas sorti de la période où, à en croire le Livre des Juges, il livrait les hommes par villes entières passées au fil de l’épée par son peuple élu. 

Il est possible que les Hébreux aient connu les légendes grecques de sacrifices humains exigés par les dieux pour qu’un peuple ou une communauté soient sauvés (Idamante, fils d’Idoménée, Iphigénie, la bien née mais la mal nommée…, fille d’Agamemnon). Mais les Grecs avaient déjà renoncé aux sacrifices humains, remplacés par des animaux. Il est donc important de montrer que la mort atroce de Jésus n’était pas un sacrifice exigé par Dieu son Père, qui livrerait son fils dans ce but, mais la terrible conclusion d’une destinée où tous les risques sont consciemment pris et librement  acceptés. Pourquoi l'enseignement de l'Église n'est-il pas centré sur l'évangile de Jean, qui affirme à huit reprises que Dieu a "envoyé" son fils. Envoyer et livrer, ce n'est pas le même acte : on envoie une personne, on livre un colis… à la rigueur une personne réduite à l'état de chose (esclave ou  prisonnier).

La demande de maître Eckhart (ce mystique rhénan dont l'Église n'a jamais levé la condamnation) d'être ''affranchi'' de Dieu pour trouver Dieu,

nous parait alors une impérieuse nécessité.

Les sagesses d'Asie nous redonnent le goût de l'intériorité, le taoïsme nous apprend cet abandon au processus naturel dont l'usage immodéré de la raison nous a séparés. John Martin Sahajananda, moine bénédictin dans le sud de l'Inde estime que “l'Église a tendance à faire l'impasse sur l'union à Dieu, alors que la culture hindoue est davantage habituée à percevoir l'unité dans la diversité".

Un peu moins de Platon et d'Aristote, peut-être! 

En Occident, la consécration de la divinisation de Jésus a exclu l'homme, catalogué comme fondamentalement pécheur (merci Augustin !) et ne pouvant être sauvé que par la médiation du Sauveur, de son Église et de ses prêtres. Maître Eckhart refusa ce dualisme. A la suite de Plotin et de Denys l'Aréopagite, il découvrit que l'homme possède en son fond un "sans-fond" qui l'apparente à la vie divine. La voie pour y accéder, c'est la passivité de l'âme, la méditation et le silence.

Dans ses derniers écrits, Jean Sullivan nous dit : “Le christianisme a cru qu'évangéliser c'était conduire à des croyances, faire entrer les personnes dans un système : évangéliser, c'est d'abord apaiser le corps (cf. l’injonction de Jésus : "Va en paix "), c'est-à-dire dénouer, défaire la tension”.

Le mouvement de sortie de la religion traditionnelle, tel qu'il fût déposé en germe par Jésus lui-même, ne pourra être arrêté par les blocages de l'institution. L'essentiel du processus risque de se dérouler en dehors d'elle et il n'y aura alors plus de hiatus entre un monde divin qui nous juge de là-haut et ce monde humain où nous nous sentions toujours pris en défaut.

L'intériorisation du divin

C'est dans l'oraison silencieuse, la confiance du cœur, que beaucoup trouvent l'apaisement qu'ils ne trouvaient plus dans les sacrements de l'Église : interdits à ceux-ci, autorisés sous condition à ceux-là.

Se déprendre de toute forme, n'est-ce pas ce que Jésus enseigne. Il n'enseigne pas une morale, ni une sagesse, il n'édicte pas de principes, il ne nous apprend pas à raisonner. Il veut nous faire toucher cette expérience radicale qui fut la sienne au cours de ces années d'enfance et de silence, où il laissait grandir en lui la confiance dont il naissait. Il n'est pas venu construire un temple encore plus grand que celui de Jérusalem, il est venu annoncer le Château intérieur qui est au-dedans de nous (Th d'Avila). Jésus n'est pas venu de la part d'un Dieu vengeur pour racheter, par le sacrifice de sa vie, l'homme pécheur; il est venu élever ce dernier à la dignité de fils de Dieu, en le faisant accéder, ici et maintenant, à cette naissance de Dieu en lui (Me Eckhart). Il nous faut sortir de cet imaginaire religieux dualiste, qui repose sur cette représentation d'un Dieu extérieur à nous, figé dans un au-delà insaisissable, que nous pourrions rejoindre un jour, par nos mérites et nos sacrifices, en imitant son fils. Teilhard de Chardin, à sa manière, nous invite à cet effort “pour établir en moi et diffuser autour de moi une religion nouvelle (un nouveau christianisme…) où le Dieu personnel cesse d'être le grand propriétaire néolithique de jadis, pour devenir l'âme du monde que notre stade culturel et religieux appelle".

 

Xavier Larere, le 11 décembre 2014