Pour Fabien Brault-Scaillet, en témoignage d'affection

L’hérésie est à l’origine de la prédication de Dominique. N’oublions pas que l’expansion de l’hérésie est liée à l’insuffisance du clergé, doctrinale et morale, d’un clergé sans charisme, quasi ignorant du latin, dépourvu d’un véritable esprit religieux. C’est  de cette tragédie d’un clergé inculte, incapable de discuter avec les hérétiques, que Dominique va tirer l’idée de créer l’Ordre des frères prêcheurs.

Dominique de Guzman est Castillan, chanoine augustinien, marqué par la pauvreté ambiante de Palencia où il étudie, en Castille-Léon. Pour venir en aide à des affamés il vend sa Bible. C’est le premier acte par lequel il donne la Parole en partage. Dominique est le second de Diègue, l’évêque d’Osma, son diocèse, en Castille. Il doit l’accompagner en Scandinavie, pour une  ambassade. Il s’y rend à plusieurs reprises. Lors d’un passage dans le Midi de la France Dominique découvre l’existence de courants hétérodoxes, encore mal connus, teintés du manichéisme qui avait séduit Augustin, et dont la vie austère des adeptes séduit les Méridionaux (1).

En 1203, Dominique fait étape à Toulouse et s’installe dans une auberge. Dominique et l’aubergiste échangent. L’aubergiste critique le clergé et déverse des propos très éloignés de l’orthodoxie catholique. Autant dire que l’aubergiste est cathare. Dominique écoute attentivement. S’engage alors une discussion qui occupe nos deux hommes toute la nuit. À l’aube, l’aubergiste est converti. Dominique prend alors conscience que la parole est son talent, sa force.

Dans le même temps, le pape Innocent III envoie des légats cisterciens (2) dans le Midi de la France pour ramener à la foi catholique les adeptes de l’hérésie. Le résultat est pitoyable. Dominique, traversant le Languedoc vers 1206, ne peut que constater l’inefficacité des légats. Il s’installe à Prouille, près de Fanjeaux, citadelle de l’hérésie cathare. C’est de là que part sa prédication. Il obtient la permission de son évêque de se joindre aux prédicateurs cisterciens. Pendant dix ans il parcourt la région du Lauragais, organisant de grands débats publics, comme celui de Montréal en avril 1207, auquel participe l’abbé de Cîteaux, ainsi que douze abbés de son ordre et une quinzaine d’assesseurs. Dominique perçoit sa vocation : celle de prêcher (3). Il quitte Fanjeaux, où depuis un an il exerce la charge de curé, pour fonder à Toulouse, en 1215, l’institution de l’Ordre des Prêcheurs.

L’inefficacité des campagnes de prédication décidées par Innocent III a amené le pape à demander un soutien aux seigneurs chrétiens, afin que soit réglée par les armes une situation que les clercs n’ont pu assainir par la parole. Les armes et le goupillon n’œuvrent pas ensemble, mais tirent dans le même sens. Tandis que le chef de la croisade contre les Albigeois, Simon de Montfort, exalté par ses premières victoires, s’empare de Carcassonne, Dominique continue inlassablement de sillonner la région. Il organise, avec ses acolytes, des débats contradictoires avec les cathares. Ces derniers sont surpris d’avoir affaire à des gens menant une vie si austère qu’ils leur ressemblent. De ces débats, qu’on appelle des disputes, certains  passeront à la postérité, tels ceux de Pamiers, de Lavaur, de Montréal et de Fanjeaux, qui ont été décisifs. Ces rencontres deviennent à la mode. Le public est convié à assister aux débats qui cessent dès que l’une des parties est déclarée vaincue et, de ce fait, rallie la foi du vainqueur.

Une dispute, un jour, n’aboutit pas. Elle se déroule à Fanjeaux, selon certains spécialistes, à Montréal selon d’autres. Devant l’impossibilité de départager les adversaires on en vient à s’en remettre à l’ordalie, c'est-à-dire au jugement de Dieu, très caractéristique de la mentalité des gens du Moyen-âge. Pour cela chaque partie jette au feu ses notes. Et l’on attend. Celles qui sont avérées ne se consument pas. Dominique jette donc ce jour-là son livre d’arguments dans la cheminée, ainsi que tous le font. Le livre de Dominique rejaillit intact (4). Des femmes présentes quittent alors le camp des hérétiques auquel elles appartenaient et se rangent du côté de Dominique, et l'accueillent dans leur maison commune. Cette maison devient alors le premier couvent dominicain, à Prouille, en contrebas de Fanjeaux, bien avant les monastères de Rome, de Bologne, de Madrid. Les moniales de Prouille sont alors les partenaires indispensables du projet apostolique de Dominique.

François d’Assise et les Mineurs n’ont pas été d’une moindre importance dans cette affaire. Les frères franciscains montrent autant d’humilité et autant de dénuement que les cathares dans leur vie quotidienne. La grande différence des franciscains, c’est leur amour de la vie. Si les cathares proclament le caractère malfaisant, horrible du monde, François et ses frères exaltent la beauté et l’harmonie du monde que Dieu a voulues. Traqués sur le plan doctrinal par les dominicains, les cathares commencent à voir une grande partie des leurs fidèles rallier les franciscains.

 

Gérard LEROY, le 18 septembre 2008

  • (1) cf. Jean-René Bouchet, Saint Dominique, Cerf, 1988
  • (2) Moines de l’abbaye de Cîteaux, appartenant à l’ordre fondé en 1098 par Robert de Molesme
  • (3) Dominique a alors l’idée que la théologie peut donc être propre à convertir. Thomas d’Aquin expliquera un peu plus tard qu’un ordre religieux peut être établi pour prêcher . “C’est une œuvre plus relevée (...) que de protéger le peuple chrétien par les armes matérielles. Aussi est-il convenable d’instituer un Ordre religieux pour la prédication...” cf. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa, IIae, qu. 188, art 4.
    Les disciples des maîtres en théologie sont donc désignés pour aller enseigner dans les provinces. Leurs feuillets sont si épais et si lourds qu’il faut des bêtes de somme pour les transporter. Ceci expliquerait que les œuvres théologiques de Thomas, comme celles d’Albert Le Grand ou de Pierre Lombard, sont appelées des “Sommes”.
  • (4) On peut voir encore aujourd’hui, à Fanjeaux, la poutre de la cheminée sur laquelle le manuscrit de Dominique aurait rebondi, y laissant trois marques.