Pour Gérard et Jacquette Lavielle, avec mon amicale reconnaissance

   Si Dieu est, comment est-il ? La réponse n’est pas à portée humaine, dira Thomas d'Aquin. Dieu est plénitude. Et il est Un. Être pur. Toute pluralité en effet impliquerait des différences. Il faut donc qu’une telle Réalité soit unique (1).

Thomas d’Aquin passe en revue les difficultés quant à la possibilité d’attribuer des Noms à Dieu. Puisque nous ne pouvons pas dire ce qu’il est, il s’agit donc de savoir ce que Dieu n’est pas. C’est alors que Dieu est qualifié d’une série d’attributs négatifs : Dieu échappe à la composition, à la limitation, au changement. Thomas traduit par défaut ce qui est plénitude: la perfection (q. 4), mais aussi la bonté (q. 5 & 6), l’ubiquité (q. 8), l’éternité (q. 10). La question 11 conclut à l’Unité de Dieu, au-delà de l’un et du multiple. La question 12 résume la transcendance de Dieu : “Ce qu’on écarte de Lui on ne l’écarte pas en raison d’un manque, mais parce qu’Il le surpasse.” “Non fini” ne signifie pas “en voie d’achèvement”, “à l’état inchoatif”, mais parce que Dieu surpasse la finitude.

La question 13 examine enfin les possibilités d’attribuer des noms à Dieu. Thomas rappelle que le mot est en rapport avec la chose qu’il désigne, dans un effort de signification. Thomas cite Aristote: “Les noms sont signes des concepts, et les concepts sont à la ressemblance des choses”; Thomas emboîte le pas du philosophe grec : “Les mots se réfèrent aux choses à signifier par l’intermédiaire des conceptions de l’esprit". ”En conséquence, conclut Thomas, Dieu peut bien être nommé, mais pas par des noms qui prétendraient exprimer l’essence divine, à la manière dont le mot homme exprime l’essence de l’homme telle qu’elle est”.
 

Les attributs de Dieu sont donc dotés d'un préfixe privatif (im-muable; non-composé; in-temporel; in-fini etc...). Thomas d'Aquin explique que c'est la seule ressource pour traduire ce que n'est pas Dieu puisque nous ne pouvons pas dire ce qu'il est. Un demi-siècle plus tôt Maïmonide émettait un avis semblable.

Si Dieu échappe à la composition, à la limitation, au changement, il échappe donc aux catégories de la pensée (acte/puissance; forme/matière; substance/accident etc...). Les théologies juive, chrétienne et musulmane, attestent que toute tentative d’exprimer Dieu reste vaine. Les mots humains ne parviennent qu'à proclamer, au-delà de toute négation, la "suréminence inobjectivable" de Dieu. "C'est pourquoi il faut dire que les noms signifient la substance divine et sont attribués à Dieu substantiellement mais qu'ils défaillent quant à ce qu'ils expriment. La visée dépasse l'expression".
 
La négation se place sous l’horizon de l’affirmation. La négation n’est pas première. Connaître que Dieu surpasse toute connaissance c’est dire qu’on ne peut le connaître. Quand il est dit de Dieu qu’il est “bon”, le mot “est” n’est pas un verbe, mais une copule qui donne au terme “bon” la substantialité de Dieu. Dire enfin “Notre Père qui es aux cieux” renvoie à la symbolique des cieux qui traduit bien notre incapacité à localiser Dieu dans le cadre de notre expérience de ce monde.


Remarque conclusive sur l’actualité du thomisme

On entend ici et là parler du thomisme, avec des accents divers, soit pour le louer, soit par mépris. De quel thomisme s’agit-il ? Du thomisme de classique observance, strictement scolastique ? D’un thomisme doctrinal ? Ou bien en parle-t-on en vue de confronter la métaphysique thomiste avec les systèmes contemporains ?

Les nouveaux lieux de la théologie, les nouveaux défis apostoliques, les nouveaux instruments conceptuels etc. nous entraînent à voir en saint Thomas un guide, plus qu’un modèle à imiter, c’est un maître, justifiant par son esprit un dépassement de sa doctrine. Les Chenu, Congar, Liégé en sont les figures emblématiques.

Il est un thomisme qui, pour être purement doctrinal, est devenu doctrinaire, articulé autour d’une pensée qui se fonde sur des principes rigoureux, mais qui assimile la vérité chrétienne à une vérité idéologique.

Ces mouvements, tels la Fraternité Saint Pie-X, ont bien du mal à rejoindre la tâche d’un Concile qui le déconcerte, celui de Vatican II.

Il y a une autre théologie qui se veut homogène à son origine évangélique, élaborant une vérité existentielle, délivrant la signification qu’a pour l’homme l’actuelle parole de Dieu, travaillé par l’enthousiasme de la Bonne Nouvelle et engagé dans l’aventure du Salut divin en Jésus-Christ. Cette théologie, tout en faisant sa part à la diversité des tâches et des charismes dans l’Église, n’est jamais coupée de l’action pastorale. C’est cette théologie qui est capable d’unifier le souci doctrinal et le souci pastoral, qui est souci théologique par nature, par essence.

 

Gérard LEROY, le 16 décembre 2011

    1) cf. Somme Théologique, Ia, q. 2 à 13