Pour Henri-Luc, en hommage amical,

   Les chrétiens, considérés au temps des Césars comme des dissidents du judaïsme, sont (presque) oubliés (hormis le martyre d’Étienne) jusqu'au printemps de l’an 64 quand, dans la nuit du 18 au 19 juillet, éclata le terrible incendie de Rome.

Cet incendie partit du quartier de Suburre, le quartier chaud de Rome, près du Circus Maximus, où il n’était pas rare de croiser Messaline, la volage épouse de l’empereur Claude. L’incendie sévit 7 jours et 6 nuits sur onze des quatorze quartiers de Rome.

Si l’origine de ce désastre resta mal défini, la population trouva vite un coupable en la personne de Néron. On savait ses goûts d’urbaniste et l’on connaissait aussi son manque de scrupules qui pouvait le porter à un grand nettoyage en cas de nécessité. Sur le conseil du fidèle conseiller Tigellin, l’empereur voulut alors détourner les soupçons et désigna les chrétiens,.

La simple prononciation du seul nom de Jésus opposait les Juifs. L’impératrice Poppée, toute-puissante, sympathisait avec les Juifs orthodoxes, et Néron lui-même était entouré d’esclaves, d’acteurs, de mimes juifs.

Clément, pape mort en 99, attribua la persécution à la jalousie. On a pensé que les juifs et leurs sympathisants vivant dans le palais suggérèrent à l’empereur de choisir les chrétiens comme boucs émissaires. Un édit fut publié, le fameux Non licet esse christianos (les chrétiens ne sont pas autorisés), qu’imputeront les écrivains chrétiens ultérieurs à Néron.

La police opéra donc une rafle dans les milieux chrétiens. Les prévenus les plus faibles dénoncèrent leurs coreligionnaires et bientôt les prisons s’emplirent d’une « énorme multitude ».

Pour apaiser et distraire la foule, Néron, comme à son habitude, décida de lui offrir des spectacles. Tigellin, son conseiller, souffla à Néron d’écrire un poème sur l’incendie de Rome. Au matin, on se répétait que Néron était monté sur la tour de Mécène pour chanter l’incendie de Rome :

  « Faits immortels, chants immortels... ».

Tacite décrit ainsi le scène : « On se saisit d’abord de ceux qui contestaient la religion des Romains, puis, sur leurs dénonciations, une multitude convaincue moins du crime d’incendie que de haine pour le genre humain. À leurs supplices on ajouta des divertissements. Recouverts de peaux de bêtes, ils périssaient dévorés par les chiens, ou bien attachés à des croix ou enduits de matières inflammables, ils étaient brûlés dès la disparition du jour, pour éclairer la nuit. Néron avait offert ses jardins (du Vatican) pour ce spectacle et donnait des jeux au cirque (de Caligula), se mêlant au peuple ou debout sur un char. Aussi, bien que ces gens fussent coupables et dignes des derniers châtiments, les cœurs s’ouvraient à la compassion, à la pensée que ce n’était pas pour le bien public mais à la cruauté d’un seul homme qu’on les immolait » (1).

Tels furent donc les châtiments qu’on infligea à ces « mauvais » que, par antiphrase on appelait « Chrestiani » (de Chrestoi, « bons »). Non seulement on leur reprochait d’être des séditieux à cause de leur messianisme, mais aussi d’être des misanthropes, de haïr, comme les juifs, le genre humain. L’accusation visait les coutumes, les mœurs propres à la secte, une mentalité contraire à la philanthropie, norme de la civilisation gréco-romaine. On passait de ce particularisme à l’idée de mœurs inhumaines. Comme aux juifs, on fera grief aux chrétiens de leurs pratiques incestueuses, de leurs meurtres rituels. C’est ce que résume Tacite en parlant de « ces gens coupables et dignes des derniers châtiments », confirmé par Suétone qui les qualifiait de race « adonnée à une superstition nouvelle et coupable » (2).

 

Gérard Leroy, le 26 novembre 2021

(1) Tacite, Annales, 15, 44

(2) Suétone, Néron, 16, 3