Pour Patrick Valdrini, en hommage amical

   L’alibi de la religion qui tente de justifier les dérives d’une minorité de radicaux, électrise les débats qui se penchent invariablement sur le rapport de la religion, de l’islam en particulier, à la République. C’est le moment de rappeler le conflit séculaire qui subsiste entre les tenants du christianisme et ceux de l'islam. Par delà cette autre radicalité cultivée par un christianisme sociologique, interrogeons-nous sur l'énigme de cet islam étrange, ce troisième monothéisme qui surgit 600 ans après la venue du Christ. Il ne prétend que confirmer le contenu de ce qui a déjà été révélé à Moïse et à Jésus quant à l'unicité de Dieu. Il réfute cependant l'incarnation de Dieu et la Trinité. Il corrigerait donc le message de Jésus qui aurait été falsifié par les chrétiens dans la mesure où ceux-ci reconnaissent dans le prophète Jésus un véritable fils engendré par Dieu dans le sein de Marie.

Reste que, en marge du conflit proprement théologique entre les deux religions, l'histoire nous met très vite en présence de la rivalité entre deux empires et deux civilisations. De même que le christianisme des origines a donné naissance, avec la conversion de l’empereur Constantin, au phénomène de la chrétienté avec toutes les collusions possibles du religieux et du politique, de même le succès de la prédication du prophète Muḥammad a entraîné très vite l'édification d'un nouvel empire qui a conquis l'espace méditerranéen avec des capitales aussi prestigieuses que Damas ou Cordoue. La situation historique a profondément évolué avec la mondialisation. À propos d'une interaction constante entre l'Orient et l'Occident, il faut éviter —contrairement à la thèse du « clash des civilisations »— de réifier les civilisations, comme si l'Occident coïncidait avec le christianisme et comme si l'islam qui ne cesse de s'implanter en Afrique et en Asie s'identifiait uniquement à la culture arabe.

Cependant, à l'intérieur de chacune des deux religions, beaucoup de fidèles continuent de projeter sur l'autre leur imaginaire collectif qui se nourrit de représentations stéréotypées, de pré-compréhensions non critiquées, de frustrations et de peurs ancestrales. On a pu le constater à la suite des attentats du 11 septembre 2001 qui ont réveillé la peur de l'Occident face à la menace du jihad islamique. Tout cela réactualisait l'antique angoisse de la chrétienté qui, jusqu’à la victoire de Lépante (1571), a vécu dans la mentalité d'une ville assiégée par rapport au déferlement des hordes musulmanes. Les dirigeants de l'Amérique de G.W. Bush ont décidé de faire la guerre au terrorisme compris comme une dérive typique de l'islam. C'est comme si l’avènement de la post modernité avait construit une nouvelle frontière entre le monde libre et le monde totalitaire, entre l'Occident chrétien et l'islam.

En parallèle, l'imaginaire collectif des masses musulmanes continue souvent d'identifier le christianisme avec le modèle américain, impérialiste et matérialiste. Et le discours de certains imams est tenté de faire croire que le christianisme est la religion dominante des nations riches du premier monde alors que l'islam serait la religion par excellence des peuples pauvres et opprimés du tiers-monde. Comme on le  sait, la réalité est autrement plus complexe et il suffirait d'évoquer la réussite économique des pays musulmans du Golfe et du Sud-est asiatique alors que beaucoup d’Églises chrétiennes connaissent une vitalité croissante parmi les peuples les plus déshérités de la planète. En disant cela, je n'oublie pas que l'Occident chrétien doit s'interroger sur sa responsabilité historique dans l'instauration d'un ordre mondial injuste sous le signe de la seule loi du profit qui maintient des millions d'hommes et de femmes dans des conditions de vie de plus en plus précaires.

 

Gérard Leroy, le 23 avril 2021