Pour Nicole, à qui je souhaite un bon anniversaire

   La parabole rapportée par l’évangéliste Matthieu révèle ce que l’on peut saisir du Royaume de Dieu comme eschatologique.

Un maître de maison a besoin de gens pour travailler à sa vigne. Des ouvriers se tiennent sur la place du marché. On ne les imagine pas restés debout pendant des heures. Ils sont assis, accroupis. Ils bavardent.

Le maître leur propose un denier pour le travail qu’ils vont avoir à effectuer pendant la journée. Un denier était le salaire quotidien habituel des journaliers. Vers 4-5 heures de l’après-midi, le maître vient chercher de nouveaux ouvriers. Le travail presse. Il faut terminer la vendange avant la saison des pluies. On a donc affaire à une course contre la montre. Il était normal de payer le salaire le soir. Le propriétaire a en tête, non pas de payer en premier les derniers embauchés, mais de payer à tous sans exception la même journée de salaire.

Certains ouvriers s’avancent en protestant. Ils donnent libre cours à leurs récriminations. Ils ont peiné 12 heures, tandis que les autres n’ont travaillé qu’une heure, et ils ont dû, de surcroît, vendanger sous la chaleur du sirocco, alors que les derniers venus ont pu profiter de la fraîcheur du soir. La durée et la difficulté du travail s’y ajoutant justifient un salaire plus élevé. 

Le propriétaire choisit parmi les protestataires le plus « fort en gueule » : « Ami », lui dit-il. L’apostrophe est à la fois pleine de bonté mais aussi de reproche, comme s’il s’était adressé à lui en lui disant « mon vieux » ou « camarade », comme s’il s’adressait à quelqu’un coupable de quelque chose . « Prends et va-t’en ! » lui dit le maître ; « Voilà ce que je veux de mon bien. » Les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.

La simplicité et la limpidité avec laquelle cette parabole exprime la Bonne Nouvelle ressortent de façon éclatante lorsqu’on la compare avec cette histoire rabbinique que relate le Talmud de Jérusalem. Cette histoire est elle-même rapportée par l’exégète Joachim Jeremias. 

Lors de l’oraison funèbre d’un docteur de la Loi, Rabbi Bun, qui mourut vers 325 ap. J.C, un ancien maître dit de ce Rabbin qu’il accompagnait dans sa dernière demeure, qu’il était comme un Roi qui avait embauché une grande quantité d’ouvriers. Deux heures après le début du travail, le Roi vint les visiter et remarqua l’un d’entre eux qui se distinguait par son application et son talent. Il le prit par la main et se promena avec lui jusqu’au soir. Lorsque les ouvriers vinrent percevoir leur salaire, le jeune homme qui avait accompagné le Roi dans sa promenade reçut la même somme que les autres, lesquels murmurèrent et se plaignirent : « nous avons besogné tout le jour et à cet homme qui n’a travaillé que deux heures, tu donnes le plein salaire ! » Le Roi rétorqua : « Il n’y a là aucune injustice de ma part, cet ouvrier a plus fait en deux heures que vous dans toute la journée. » 

Eh bien, conclut l’oraison funèbre, la Rabbin a plus fait aussi en 28 ans que maints docteurs blanchis sous le harnais en 100 ans ! 

 

Gérard Leroy, le 21 novembre 2019

(1) Mt 20, 1-15