Pour Henri-Luc, en hommage amical

   Point besoin de science et de philosophie pour savoir en quoi consiste l'obligation morale ou le devoir. Il suffit, « suivant la méthode de Socrate » (1), « de m'adresser cette question : peux-tu vouloir aussi que ta maxime devienne une loi universelle ? Si je ne le puis, la maxime n'est pas admissible (…) parce qu'elle ne peut entrer dans une législation universelle possible »(2). En d'autres termes l'acte moralement bon est celui dont je peux accepter que la maxime soit érigée en loi universelle pour tous les hommes.

La liberté et le problème du mal

La valeur morale de l’action, selon Kant, ne réside pas dans l’effet qu'on en attend, mais dans l'intention de respecter la loi morale. Kant s'est désolidarisé des pensées qui prônent la substantialité du mal. Le mal n'existe donc pas en soi mais comme une privation du bien.

Quand Augustin se pose la question « le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais », le mal perd tous sens ontologique pour ouvrir une autre question « d’où vient que nous faisons le mal ? ». Tandis que pour Augustin le mal en l'homme est la conséquence du péché originel et ne peut être vaincu que par la grâce divine, le mal pour Emmanuel Kant ne peut trouver son principe que dans la corruption de l'arbitre humain. La sagesse consiste beaucoup plus dans la conduite que dans le savoir. La fin de la morale est alors de rendre la volonté bonne, si bien que le bonheur de chacun, selon Kant, serait proportionnel à l'accomplissement de ses devoirs.

Kant savait que les sciences physico- mathématiques n’ont nul besoin d'une justification philosophique, leurs conclusions s’imposant à tous sans difficulté. Mais leur succès présentait une menace pour la morale, en faisant croire que le seul monde réel est celui d’un monde de faits soumis au déterminisme. Il fallait donc fonder les sciences en laissant une place à la morale. La science ne peut avoir le caractère de nécessité que si elle a un fondement a priori, autrement dit si les catégories qui permettent de relier le donné sensible dérivent du sujet et non de l’expérience (la phénoménologie d’Husserl n’est pas encore née). Les sciences ne peuvent atteindre la réalité en soi qui est derrière le monde des phénomènes décrits par les sciences de la nature. Il est possible de croire à l'existence d'un monde de choses en soi, inconnues et inconnaissables par les sciences naturelles. Il y aurait une opposition entre le monde des faits soumis au déterminisme et celui des sujets libres et autonomes.

La conception kantienne de la liberté humaine (qu’il prétend « absolue ») se traduit par une volonté : plus une volonté est encline à satisfaire ses égoïsmes, moins elle est libre. En revanche plus une volonté s’efforce à ne se déterminer que par la raison ou par devoir, plus elle s'arrache au déterminisme et affirme sa spiritualité et son appartenance à la communauté intelligible, l’Église, dont Dieu est le monarque. Kant fait dériver la religion de la morale. Jésus, nous dit Kant, est l’idéal de l’humanité agréable à Dieu. « Le concept de la divinité ne naît proprement que de la conscience des lois morales et du besoin de la raison d'admettre une puissance qui puisse octroyer à ces lois l'effet total possible du monde »

La pauvreté a abdiqué de ses facultés d’esprit au profit des forces imaginaires parce qu’elle a besoin de bourrer son esprit d’explications superstitieuses qui dépassent l’entendement (3). L’homme a besoin de Dieu, mais c’est en vue de son perfectionnement moral. D’où l’urgence selon Kant, de revenir à la raison, car dans la réalité, tout ce que nous devons faire pour être digne de Dieu, « se trouve déjà dans notre raison ».

Dieu ! que tout cela se discute !

 

Gérard Leroy le 2 décembre 2022

 

  1. E. Kant, Fondements métaphysiques des mœurs, p. 29.
  2. id. p. 28.
  3. cf. Siméon Clotaire Mintoumé, Morale et religion chez Kant et Lévinas, L’Harmattan