Pour Denise Torgemane, en hommage amical

   Quand, sur le mont Carmel, Élie, interpelle les disciples adorateurs de Baal en les moquant: « Criez plus fort, car c’est un dieu : il a des soucis ou des affaires, ou bien il est en voyage ; peut-être il dort et il se réveillera ! » (1 R 18,27), le prophète se paye la tête des haut-fonctionnaires de la religion. Il n’est pas rare d’entendre aujourd’hui brocardés les faussaires du religieux, les boutiquiers, les quincailliers du religieux ; comme on persifle le religieux lui-même “shooté” à l’opium, ayant pris une assurance tous risques, ou aimant le sucre d’orge. 

On ne rend pas compte du religieux tant qu’on en reste à la description des comportements, de l’attitude religieuse (que reprennent sans hésiter les rites de certains cercles athées), des mentalités, du contexte culturel, des conditionnements sociologiques, psychologiques, et économiques. 

Reste encore à déchiffrer le vécu irréductible du croire et l’assignation risquée d’un sens. Aussi ne négligeons jamais la question —exigeante mais incontournable— de l’invraisemblable irruption de Dieu dans l’histoire, qui a donné sens aux hommes de foi, lesquels l’expriment par une religion. 

On peut dédaigner de réfléchir au mystère de la vie, de la mort, le mystère subsiste. Comme la question du Transcendant qui va avec. « On ne se moque pas de Dieu » (Ga 6,7). À l’inverse croyez-vous que Dieu soit contrarié de sa mise à l’écart ? Ironisez toujours. Si c’est sur l’inaccessible c’est bien de votre incapacité à l’atteindre que vous vous moquez. 

Car le Transcendant, ce Tout-Autre, cet au-delà du champ de la conscience, ineffable, garant du sens de l’existence du monde de l’expérience, cette “Suréminence inobjectivable” peut, elle, ironiser à souhait, sereinement. Le Transcendant se pose comme Question et ne se pose que comme tel. Il est et il fait question. Et la question ne s’efface pas au motif qu’on l’écarte. Le transcendant ne se gêne pas pour rire, sans cruauté, de l’altitude prétentieuse que vise la bassesse : « Celui qui siège dans les cieux s’en amuse, le Seigneur les tourne en dérision… » (Ps 2,4). 

Jésus est certainement de ce côté-là, quand il dit au Père “Je te bénis, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits… » (Lc 10,21).

Les dieux grecs, ou indiens tel Bouddha, ont le sourire figé, qui, presque, nous agace. Parce qu’ils traduisent la forme la plus exquise de l’ironie qu’on s’adresse. Ce n’est plus la religion qui est la risée, mais nous, les hommes qui ne peuvent se contenter de leur immanence propre et finie, mais en reviennent toujours à se concevoir en référence à la transcendance, révélée qui plus est. L’homme qui, se situant à bonne distance du monde, de l’histoire et de lui-même et par conséquent des contrefaçons de Dieu qu’il a lui même modelées à sa façon, peut rire de lui-même comme y invite Nietzsche, et de tout ce qui n’a pas raison d’être. Oubliant Celui qui est.

 

Gérard LEROY, le 13 septembre 2016

 

(1) cf Aristophane, Comédies, vol I, Les Nuées, Fénelon, Dialogue des morts, Montesquieu, Lettres persanes, Nietzsche, Généalogie de la morale.