Pour Anita de Saint-Exupéry, en hommage amical

   L’histoire de cette doctrine s’étend sur plus de cinq siècles, depuis son fondateur Zénon (336-264), auquel Paul Valéry a rendu hommage dans Le cimetière marin. Zénon est un Chypriote qui fonde une école : le Portique, du nom du lieu-dit où l’école s’installe, en l’occurrence Stoa poïkilè , qui signifie “Le Portique des peintres”. D’où le nom donné à ceux qui fréquentent l’école : les stoïciens.

Au cours du Ier siècle de notre ère le grand maître du stoïcisme est un esclave vendu à Rome, Épictète. C’est la lecture des ouvrages d’Épictète qui a inspiré l’empereur Marc-Aurèle, le dernier des grands philosophes stoïciens connus, mort en 180.

Pour les stoïciens Dieu est le monde et vice-versa. Spinoza, au XVIIe siècle, n’aura pas une autre vision du monde. Le monde est comme un organisme, doté d’une âme, divine, qui le gouverne. Nous voilà tout à l’opposé des épicuriens qui réservaient aux dieux une sorte d’espace pour VIP, infranchissable aux hommes. Que disent alors de Dieu les stoïciens, qui le voient partout ? Qu’il est un souffle, souffle (1) de feu, qui gouverne le monde rationnellement de l’intérieur. Dieu est cosmique. Dieu n’est pas quelqu’un. Dieu est la totalité. Nous avons là l'essence même du panthéisme.

Le monde étant réglé par ce souffle, en somme par la Providence, le destin de l’homme paraît être écrit de toute éternité. Tout ce qui arrive devait arriver et tout ce qui arrivera est comme déjà programmé ! Là encore nous sommes renvoyés à la doctrine de la prédestination que ne manquera pas de reprendre la théologie musulmane au XIe siècle. Avec les stoïciens le mal ne peut exister, puisque c’est la Providence divine qui dirige le réel.

Qu’en est-il alors de la liberté ? Que reste-t-il qui dépende de nous ? Il ne dépend pas de nous que nous soyons esclave, maître, couturière ou pompier. Il dépend de nous ce que nous en ferons. L’homme dispose de la liberté qui lui reste d’être maître de ses pensées. Seule l’indépendance de la pensée demeure.

Que disent de l'âme nos stoïciens ? Rappelons qu’Aristote structurait l’âme en deux parties, la partie supérieure accueillant l’esprit préexistant au corps et lui survivant. Les stoïciens, eux, proches en cela de Platon, la proclament éternelle, au prétexte qu’une unique substance spirituelle, sorte d’âme-mère universelle, produit des esprits individuels qui n’ont qu’une idée en tête, c’est de retourner dans le ventre qui les a expulsés en les accouchant. Deux siècles plus tard Cicéron affirmera l’origine divine de l’âme. Les juifs, au temps de Jésus, sont partagés. Les sadducéens nient la résurrection des corps qu’espèrent la majorité des juifs depuis deux siècles. Les Esséniens, quant à eux, croient à l’immortalité comme à la préexistence de l’âme (2).

Le stoïcien est un philosophe qui se caractérise avant tout par une grande sérénité, cultivée par la maîtrise de soi. C’est un sage. Une sorte de devise des stoïciens est à retenir; qui sert encore aujourd'hui après avoir servi les Sénèque, Montaigne, Descartes, jusqu’à Sartre qui s’y est référé : “Il ne faut pas demander que les événements arrivent comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent” (3).

Tout cela est moqué par le courant sceptique, bien moins important mais non négligeable. Les sceptiques feront école jusque sous la Rome des Césars; ils pensent que la vérité ne peut que nous échapper, et que toutes les affirmations même les plus contradictoires se valent, bref qu’il n’existe aucun critère permettant de dire qu’une chose est vraie. C'est l'argument des agnostiques que l'on entend aujourd'hui.

 

Gérard LEROY,  le 12 février 2011

 

1 En grec :  pneuma.

2 Flav. Josèphe, Bellum Judaicum II, 8, 11, 154; cf. C. Blanc, avant-propos à sa traduction d'Origène, Commentaire sur S. Jean, T 1, éditions du Cerf, p. 23.

3 cité par J. Russ, Panorama des idées philosophiques, A. Colin, p. 61.