Nous remercions vivement Xavier Larere, Président du Mouvement de Réinsertion Sociale (MRS), d’avoir choisi “Questions en partage” pour la publication de son article. Voici la suite de ce que nous avons publié récemment.
Une grande partie de la morale sexuelle de l'Église repose sur une triple affirmation qui ne souffre, nous dit-on, ni discussion, ni exception : la vie est un don de Dieu, elle est sacrée; est donc un péché grave (on disait mortel autrefois) toute atteinte à la vie, laquelle commence dès que deux cellules, un spermatozoïde et une ovule, se rencontrent. Les deux premiers termes de cette affirmation sont évidents pour un chrétien, mais le troisième? Sans oublier que certains, et non des moindres, comme Thomas d'Aquin, ont estimé que l'âme ne peut naître que lorsque la matière est suffisamment formée, organisée, nous laisserons aux spécialistes le soin de déterminer à partir de combien de cellules on passe d'un phénomène biologique à une vie appelée à être éternelle.
Mais, alors que Jésus place le commandement "Tu ne commettras pas de meurtre" en tête des commandements à observer pour entrer dans la vie éternelle (Mt 19-18), il n'est pas évident que la condamnation sans appel de toute atteinte à la vie ait toujours été sinon la doctrine, du moins la pratique de l'Église romaine. Sans remonter au Dieu de l'Ancien Testament mettant en jeu sa puissance pour permettre au peuple juif d'éliminer ses ennemis par des massacres de populations entières, hommes, femmes, enfants, donc beaucoup d'innocents, n'est-ce pas l'Église de Rome qui a organisé les croisades, soutenu les bûchers pour hérétiques, l'Inquisition, qui a levé des troupes et guerroyé pour défendre des possessions territoriales, qui n’a que peu condamné les guerres et les massacres des princes catholiques, qui est restée silencieuse devant les milliers d'exécutions du franquisme, du régime de Pinochet, de tant de dictatures, qui s'est longtemps accommodée de la peine de mort. Un historien n'aurait pas de mal à allonger cette brève énumération.
Cette relative indifférence à la vie s'explique peut-être par un courant de pensée dévalorisant la vie présente au profit de la vie éternelle. Un retour de balancier aurait entraîné cette absolutisation de la vie, relativement récente, fondement d'une morale souvent vécue comme "implacable".
Enfin, est-ce trop demander à ceux qui parlent au nom de l'Église d'éviter les formulations blessantes. Les arguments de l'Église contre la gestation pour autrui, voire les mères porteuses elles-mêmes, sont centrés sur une affirmation catégorique : l'idéal pour l'enfant est de naître et d'être élevé par un couple homme-femme par rapport auxquels il pourra toujours se situer dans une continuité familiale. C'est aussi le meilleur cadre pour la transmission de la foi et l'éveil des vocations religieuses. Mais lorsqu'on sort de ce schéma idéal, ne faut-il pas prendre en considération l'intérêt de l'enfant ? De la famille même, comme le merveilleux exemple de Rachel la stérile (Gn 30, 1-8) disant à Jacob: "Voici ma servante Bilha, va vers elle, et qu'elle enfante sur mes genoux; d'elle j'aurai, moi aussi, un fils".
Les auteurs de toutes ces affirmations se rendent-ils compte que leurs propos sont traumatisants pour les parents ayant eu et élevé des enfants dans ce cadre ou les ayant adoptés. Avec le précepte " hors la naissance de deux parents biologiques et l'éducation par eux, point de salut", ne méconnaît-on pas la réalité, à savoir que la majorité des couples qui recourent à l'adoption, à l'assistance médicale à la procréation, à la gestation pour autrui, considèrent que l'enfant est un don, pour ne pas dire un miracle ? En outre, l'Église donne le sentiment qu'elle ne croit pas que l'amour d'un père et d'une mère "adoptifs" puisse suppléer à l'absence de lien biologique "normal". C'est inutilement blessant.
Comme on l'a vu, on conçoit aisément que, pour l'Église, parler de l'homosexualité est un exercice délicat. On aimerait qu'elle ait une parole qui ne soit pas aussi blessante que le qualificatif "intrinsèquement désordonné", mais soit à la fois libératrice, acceptable pour tous. Est-ce impossible ?
Osons quelques pistes, quelques suggestions.
Tout d'abord, faire confiance à la conscience des hommes et des femmes d'aujourd'hui.
En matière sexuelle, il y a, pour l'autorité, un certain confort à établir un catalogue d'interdits. C'est clair et s'il y a transgression, c'est en connaissance de cause. Et si on faisait plutôt confiance aux consciences individuelles : est permis tout ce qui s'inscrit dans l'amour et la liberté. Par là même seraient proscrits les actes et pratiques marqués d'égoïsme (moi et mon plaisir d'abord), de violence, tous ceux où le corps de l'autre est traité comme une chose, comme une possession. Ne serait-ce pas à la fois aussi exigeant et plus respectueux des personnes, de leur liberté ? Mgr Bouvier, évêque du Mans en 1842, n'était-il pas, avec une grande expérience pastorale, dans une ligne de vérité en estimant que le couple est "un agent moral qui distingue le bien du mal", qu'il peut avoir de bonnes raisons de limiter la taille de sa famille tout en continuant des relations sexuelles et qu'alors le "retrait" n'est pas une faute. D'ailleurs, cet appel à la conscience n'est-il pas dans la ligne même de Vatican II: "L'homme a une loi divine inscrite dans son cœur, à laquelle sa dignité lui commande d'obéir et selon laquelle il est jugé. La conscience est le noyau le plus caché et le sanctuaire de l'homme, dans lequel il est seul avec Dieu" (L'Église dans le monde de ce temps, 16).
Ensuite, écouter ce que murmure la conscience collective, le sens de la foi, du peuple chrétien, à commencer par celles des femmes car, comme le remarque Elisabeth Dufourcq dans son "Histoire des chrétiennes, l'autre moitié de l'Évangile", l'Église s'est probablement "appauvrie d'avoir vécu, pensé, légiféré sans femmes depuis si longtemps". Les membres de la hiérarchie catholique sont des célibataires de plus de quarante ans, ayant fait vœu de chasteté et certains ont peut-être passé plus de temps dans des bureaux qu'au contact des fidèles, de leurs difficultés, de leurs misères, sans parler du service des pauvres. Comme l'a fort bien dit le cardinal Martini : l'amour du prochain "n'est pas une chose que l'on peut apprendre en étant assis derrière son bureau" (cf. Le rêve de Jérusalem, p. 38). Le risque ne peut être sous-estimé de n'avoir qu'une vue extérieure, intellectuelle même si elle est souvent compassionnelle, de l'existence des hommes et des femmes d'aujourd'hui, avec la vie conjugale, les enfants, le chômage, la précarité, les parents devenus dépendants, les retraites faibles, inexistantes dans de nombreux pays. Or, il suffit par exemple de parcourir le courrier des lecteurs de La Croix, pour réaliser qu'il y a nombre de chrétiens qui s'informent, qui réfléchissent et qui sont capables, argumentation à l'appui, de dégager les grandes lignes de cette majorité silencieuse, ce sens évangélique de l'ensemble des baptisés dans la communion de l'Église, mis en valeur par Vatican II mais resté à l'état de beau principe sans application. Ce qu'elle dit d'abord, cette conscience collective, c'est qu'il faut être attentif à ne pas mettre sur les gens des fardeaux impossibles à porter. Lorsque Jean-Paul II conclut de son étude de l'Écriture que l'union de l'homme et de la femme est à l'image de celle qui règne au sein de la Trinité, il savait sûrement ce qu'il disait mais les conséquences qui en ont été tirées ont mis la barre si haut que nombre des règles en découlant relèvent souvent de la catégorie "c'est impossible à l'homme, mais pas à Dieu". Il s'agit bien évidemment de la grâce de Dieu, qui peut tout, mais il y a un risque que se produise au sein du peuple chrétien une fracture : beaucoup, considérant ces règles comme inacceptables n'en tiennent aucun compte (cf le sondage cité ci-dessus). Un petit nombre s'enorgueillit au contraire d'une stricte observance et, au nom d'une pureté supérieure, regarde avec mépris la masse des fidèles. Et au sein du grand nombre, que de drames de conscience à propos de la condamnation réitérée de la contraception à l’écart des méthodes naturelles; rappelons-nous les témoignages bouleversants rapportés lors du Jour du Seigneur du dimanche 7 décembre 2008 : des hommes et des femmes disant leur désarroi, leur incompréhension devant la morale rigide, "implacable", de l'Église. Et cette mère de plusieurs enfants angoissée à l'idée qu'elle devrait aller se confesser chaque jour pour la pilule de la veille.
Sur un plan plus général, l'Église regagnerait en crédibilité en cessant de combattre toute mesure visant à freiner la croissance démographique, sans admettre aucune exception (Conférence de l'ONU sur la démographie 1994, Evangelium vitae 1995). Lors de Vatican II, le concile avait pourtant été invité "à reconnaître que la poussée démographique dans certains pays s'oppose, dans les circonstances actuelles, à toute élévation du niveau de vie et condamne des millions d'êtres humains à une misère indigne et sans espérance et à dire si, vraiment, Dieu veut cette impasse déprimante et antinaturelle". Aujourd'hui, il faudrait aussi reconnaître que la sortie de la misère de millions de chinois et d'indiens n'aurait pas pu avoir lieu sans un contrôle des naissances, parfois fort strict. Le pire, pour sa crédibilité, serait que l'on puisse soupçonner l'Église de persister dans son refus de tout frein éventuel à la croissance démographique pour, face à l'expansion de l'Islam et de certaines branches du christianisme, laisser croître les gros bataillons catholiques d'Afrique, d'Amérique latine, des Philippines, se désintéressant implicitement du devenir de la Chine et de l'Inde, entre autres.
Dans un autre domaine, si le rappel par Benoît XVI, lors de son déplacement au Brésil au printemps 2007, de la règle des fiançailles dans la chasteté, a été accueillie avec indifférence, l'écoute de la conscience collective aurait rappelé que ce n'est pas d'abord l'obsession du "jouir sans entrave" de mai 68 qui motive d'abord la cohabitation avant le mariage mais plutôt l'écho, au sein des familles, des frustrations et des malheurs trop souvent provoqués par la virginité des nouveaux époux. Rares doivent être les pères ou mères de famille aimant leurs enfants qui leurs conseillent aujourd'hui d'arriver vierges au mariage. Disons que si la vie en couple avant le mariage n'est pas une "garantie-or" de la stabilité de l'union sur la longue durée, elle réduit la part de hasard et de chance d'une relation consommée le jour du mariage, selon le rappel à l'ordre du pape. Et si Jésus a été catégorique sur l'indissolubilité du mariage, il ne s'est pas prononcé sur l'exigence de virginité préalable.
S'agissant du mariage, précisément, si l'on souhaite diminuer le nombre de divorces, n'y aurait-il pas lieu d'explorer la piste esquissée par Pietro de Paoli (Vatican 2035) : distinguer l'institution humaine du mariage et sa divinisation dans le sacrement. Concrètement, cela signifierait deux stades : d'abord une "bénédiction de mariage" pour que tous les jeunes couples trouvent leur place dans les paroisses, puis, ultérieurement, lorsqu'il est clair que l'amour de Dieu s'incarne dans l'amour des époux, le sacrement de l'alliance nuptiale. C'est audacieux, mais cohérent.
Le divorce après un mariage religieux est incontestablement une faute grave, compte tenu des paroles du Christ sur l'indissolubilité. On comprend donc que l'Église refuse de bénir une nouvelle union, alors même que le péché a été confessé et pardonné. Mais on comprend mal sa sévérité, sa rigueur envers les divorcés remariés civilement qui restent interdits de communion, sauf s'ils s'engagent à vivre "comme frère et sœur". Même si des enfants sont nés de cette deuxième union. De même, lorsqu'un des conjoints ne voulait pas le divorce, qui équivaut dès lors pour lui à une "répudiation", faut-il lui infliger une deuxième peine et souffrance en le condamnant si il ou elle refait sa vie? Ou bien doit-il attendre la "chance" de devenir veuf ou veuve, et alors les portes des églises s'ouvriront grandes. Que dire enfin des cas où une femme ne trouve son salut que dans un divorce, alors que son mari, devenu fou, est interné ou qu'il montre une brutalité imprévisible. L'annulation du mariage par le Vatican serait probablement possible dans pas mal de cas, mais il est hors de portée de la plupart des gens, faute d'un équivalent de notre "aide juridictionnelle". Il y sûrement des solutions individuelles de miséricorde, mais les lettres de lecteurs et les témoignages montrent que, compte tenu de la position réitérée de l'Église, c'est loin d'être toujours le cas.
Comme beaucoup, je suis persuadé qu'avec quelques efforts, et surtout une volonté de sortir de l'impasse actuelle, le discours de notre Église sur la sexualité pourrait être une véritable chance pour tous ses membres, dans l'esprit même de l'Évangile. On peut en effet se demander si, à certains égards, l'Église ne se constitue pas elle-même prisonnière d'éléments de la tradition qui paraîtront aussi incroyables à nos descendants que le sont pour nous la condamnation de la liberté de conscience et de celle de la presse par l'encyclique "Mirari vos". Le présent témoignage est celui d'un membre "anonyme" de l'Église enseignée qui n'a pas la prétention de se substituer à l'Église enseignante mais qui est convaincu qu'un langage libérateur sur la sexualité est possible pour sortir du blocage né d'Humanae vitae, encyclique voulue par un pape qui décida, contre l'avis de la majorité, de soustraire le sujet aux délibérations du Concile, estimant qu'il était de sa seule responsabilité personnelle (cf. Cardinal Martini, op cité, p 144).
Si l'immobilisme actuel devait persister, il est probable que les générations montantes de catholiques utiliseront à grande échelle les moyens modernes de communication pour tenter de se faire entendre.
Xavier Larere, le 18 septembre 2009
Président du Mouvement de Réinsertion Sociale (MRS)
J'attends volontiers vos observations à l'adresse mail suivante : xavier.larere@free.fr