Pour mon amie Brigitte VANNI, qui m'a dit un jour son intérêt pour la question

La Métempsycose est une doctrine ancienne, qu’on rencontre surtout sous la plume d’écrivains chrétiens, d’après laquelle une même âme, ou l’élément psychique, ou le corps subtil, peut, au cours d’existences successives, animer plusieurs corps, soit humains, soit animaux, soit végétaux

Ce fut la croyance des Celtes (cf. César, De Bello Gallico, VI, 14, 5), de Pythagore, de Platon qui notait que les âmes réincarnées ne gardaient pas le souvenir de leurs existences antérieures, ainsi que de Plotin (IIe s.), pour lequel cette théorie est juste en tant que nous sommes appelés à recevoir un corps pour expier les fautes commises dans le passé. En revanche cette doctrine n’a aucun fondement dans les Écritures. Origène (IIe s.) a pourtant évoqué les épreuves successives réservées aux âmes, tout en admettant la doctrine chrétienne de la Résurrection des corps. Sa position fut condamnée au concile de Constantinople en 542. 

Petite historique de la pensée sur ce thème

 Les philosophies asiatiques cultivent cette croyance. La philosophie hindoue, ainsi que le bouddhisme, avec respectivement l’hypothèse du Samsara et la doctrine du karma, fournissent un argument —cohérent mais invérifiable— de cette doctrine.

Le problème de la préexistence et de l’immortalité a préoccupé la philosophie grecque. À la suite de Pythagore on considère la grandeur de l’âme humaine destinée à l’immortalité. Platon s’y associe, destinant l’âme à une vie en compagnie des dieux. Le corps est sa prison (1), voire son tombeau (2). La loi qui régit l’univers (3) peut sanctionner la faute de l’âme et la précipiter dans le monde sensible (4). Sa conduite détermine alors les réincarnations suivantes. Aux âmes en quelque sorte de choisir leur destin (5).

La tendance dite matérialiste de Démocrite et Épicure pense que l’âme n’est rien d’autre qu’un principe de vie éphémère, qui n’existe que tant qu’existe le corps.

Aristote et les stoïciens occupent à ce sujet une position mitoyenne. Pour Aristote, l’âme, comme le cosmos, a deux parties. Noblesse oblige : la partie supérieure accueille l’esprit ! Selon Aristote, l’esprit préexiste au corps et lui survit. Quant aux stoïciens, qui croient à l’éternité, ils avancent qu’une unique substance spirituelle, sorte d’âme universelle, produit des esprits individuels qui n’ont qu’une idée en tête, c’est de retourner dans le ventre qui les a un jour expulsés. Quelques siècles plus tard Cicéron affirmera l’origine divine de l’âme.

Au temps de Jésus, les sadducéens niaient la résurrection des corps qu’espéraient la majorité des juifs deux siècles plus tôt. Les Esséniens, quant à eux, croyant à l’immortalité comme à la préexistence de l’âme, justifiaient la souffrance qu’elle doit subir à travers l’esclavage de la vie terrestre (6).

Au IIe siècle, Philon d’Alexandrie, suivi par Origène, donnait aux âmes immortelles de s’introduire en des corps mortels, prenant goût à la vie humaine avec son train-train et ses habitudes, se dépêchant ensuite de retourner à leur source, au prix parfois d’un rude effort pour s’échapper du corps comme d’un cachot ou d’un sépulcre (cf. Platon), et s’élever jusqu’à l’ éther (la quinte essence) pour s’adonner à jamais aux choses célestes (7).

À Épicure la palme ! Voilà quelqu’un qui sait dire les choses ! Pour lui, l’âme s’évapore et se disperse dans les volutes d’atomes. Le passage par la mort n’est donc pas à craindre car la mort est rien et que rien ne peut être sujet de crainte. “La mort n’est rien pour nous: aussi longtemps que je suis là, elle n’y est pas; et quand elle est là, je n’y suis plus” (8), écrit Épicure. Quand arrive sa dernière heure, Épicure est pris de douleurs violentes aux entrailles. N’allons pas aussitôt déduire que le philosophe faussement associé au “plaisir du ventre” (9) se voit sanctionné à l’endroit même où il aurait péché toute sa vie. La dernière sensation qu’éprouve Épicure ne l’inquiète pas (10). Il l’endure seulement. Le reste n’est rien. C’est en conséquence de cette philosophie que sur d’innombrables tombes on peut lire, en grec ou en latin, cette épitaphe :

 Je n’étais pas - J’ai été
Je ne suis plus - Ça m’est égal
 

 La formule fut si appréciée que tout le monde la voulue sur sa pierre, au point que le marbrier finit par se contenter de graver les initiales !

 Commentaire

 La croyance en la métempsycose peut traduire le désir tout à fait respectable de prolonger de quelque manière la vie d’un être cher disparu. Il reste que cette croyance étant le résultat d’une projection subjective, issue d’une angoisse, d’un désir d’absolu, a la fragilité de l’arbitraire. Rien ne la justifie sinon la peur d’une non-réponse, sinon le désir du sujet.

Cette doctrine est fondée sur une hypothèse. Les témoignages recueillis des personnes évoquant l’idée d’une vie antérieure sont peu probants. Même si des personnes qui s’interprètent comme yogis, ou sages, prétendent avoir conscience d’une vie passée.

L’erreur d’Origène a consisté dans le syncrétisme de la Résurrection des morts annoncée par le Christ (que certaines sectes juives attestaient avant l’arrivée de Jésus de Nazareth) et la réincarnation. Ce que l’Église du Christ souligne c’est l’individuation par l’union du corps à ce qui l’anime, que les Grecs appelaient anima, qu’on traduit par “âme”. Ainsi, chaque chrétien professe cet article —ce dogme— du Credo : “je crois en la résurrection des morts” etc.

Le thème de la réincarnation est aujourd’hui le thème privilégié de la théosophie et des milieux occultistes qui développent, en réaction tout à la fois au nihilisme, au rationalisme, à l’athéisme, au matérialisme, la mode du "New Âge". Cette mode  fait partie de la "nébuleuse mystique ésotérique"  dont parle la sociologue Françoise Champion, au sein de laquelle les croyances "se mêlent aux techniques corporelles et aux psychothérapies (...), témoignent du déracinement de l'homme moderne qui (...) cherche une certaine forme de salut individuel dans l'irrationnel et la quête d'un sacré sauvage. (...) Vaste entreprise de "ré-enchantement" du monde, de l'homme et même de Dieu(...), la nébuleuse propose un salut purement immanent conçu comme transformation de soi, mieux-être physique et mental, harmonie fondamentale" (11).

 

Gérard LEROY

  • (1) Cratyle, 400 b c.
  • (2) Gorgias, 493 a.
  • (3) Timée, 41-42.
  • (4) Phèdre, 248 c.
  • (5) République, X 617 d e.
  • (6) Flavius Josèphe, Bellum Judaicum II, 8, 11, 154, cf. aussi C. Blanc, Introduction à Origène, Commentaires sur S. Jean, T I, Cerf 1966, p. 23. 
  • (7) De somniis I, 139, trad. Savinel, cf. C. Blanc, op. cit., p. 24.
  • (8) À Ménécée.
  • (9) Maximes maîtresses, LIX
  • (10) voir lettre À Idoménée qu’Épicure dicte dans ses derniers instants.
  • (11) C. Geffré, La quête de Dieu dans les courants ésotériques contemporains, La Vie spirituelle, n° 718, mars 1996, pp. 147-157.