De Nicée à Constantinople

   Le symbole de Nicée, trinitaire, par sa structure, est monothéiste par sa première affirmation : “Je crois en un seul Dieu...” Le Père renvoie d’emblée au Fils. Les Pères conciliaires, si préoccupés par la question filiale, ont remis à plus tard la question de l’Esprit, qui sera examinée au Concile de Constantinople, convoqué, par l'empereur Théodose en 381, 56 ans après celui de Nicée. Grégoire de Nazianze (†390) le présidera. L’important de ce Concile c’est l’affirmation de la consubstantialité de l’Esprit avec le Père et le Fils et son engendrement par le Père et le Fils. Secondairement, Constantin ayant proclamé Constantinople comme deuxième Rome, le Concile attribuera une sorte de vassalité à l'évêque de Constantinople vis-à-vis de l'évêque de Rome. 

En suivant l’idée d’Athanase d’introduire la notion nouvelle de “personne”, distinguant le Père et le Fils, les Pères de l’Église ne remettaient pas en question la nature divine commune aux deux personnes, en vertu de l’immanence réciproque entre le Père et le Fils qu’ Athanase proposait. 

Qu’en est-il du Saint Esprit ? 

Dans l’Ancien Testament, la ruah (en hébreu, souffle, vent) exprime l’Esprit de Dieu”, la puissance d’action de Dieu. Les prophéties de l’AT déclarent que l’Esprit reposera sur le Messie (Is 11, 1-3 ; 42, 1 ; 61, 1).

Parlant de l’Esprit de Dieu le NT parle d’un défenseur, d’un avocat, le paraclet, qui vient du Père : “Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, rendra lui-même témoignage de moi.” (Jn 15, 26) ; cf aussi Jn 16, 15 : “Il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi”. L’Esprit qui procède donc du père et du Fils, est représenté par des symboles, comme celui de la colombe (cf. Mc 1, 10), ou par des langues de feu (Ac 2). 

Dans le NT l’Esprit survient dans l’homme, et le rend capable d’actions remarquables (Lc 2, 25-28 ; Ac 2, 4). Que dit saint Jean ? Que l’Esprit est une personne, et qu’il s’agit d’un don du Christ (Jn 1, 33 ; 1 Jn 3, 24). “Le Père vous donnera un Défenseur qui sera toujours avec vous” (Jn 15, 26 ; Jn 14, 16-19).

La foi des apôtres n’identifie pas l’Esprit Saint à une réalité empirique, mais comme le divin à l’œuvre dans l’Église : “Il a parlé par les prophètes” (Hb 1, 1). L’Esprit, considéré comme force, œuvre ou action, est avant tout relation. C’est sa fonction naturelle. En étant l’expression de l’amour mutuel du Père et du Fils, on peut dire qu’ “il procède du Père et du Fils” —filioque procedit —. Il est l’Esprit du Père et du Fils, l’Esprit de Jésus-Christ, et inversement, à l’œuvre dans l’Église. La Révélation du Père dans le Fils est la Révélation par le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit a donc une fonction de Révélateur.

L’Esprit Saint est chargé de mission. Il est en effet chargé aussi de la communication vers l’extérieur. Comme il souffla sur les Apôtres à la Pentecôte, c’est lui qui fait mûrir en l’homme les fruits, les semailles du Dieu sauveur, qui éclosent en amour, en joie, en paix. “L’homme c’est la joie du “oui” dans la tristesse du fini” disait Paul Ricœur. Cette joie est fondée par l’Espérance, et l’Espérance nous est donnée par l’Esprit de Jésus-Christ, qui est la force, le souffle et l’âme de nos métamorphoses.

Comme le souffle de notre bouche, l’Esprit va d’ici à là, de la bouche à l’oreille et de l’oreille au cœur. Le Saint-Esprit agit pour préparer l’homme et le disposer à recevoir Dieu et sa Parole. L’accomplissement est l’œuvre du Saint-Esprit. C’est de cela que les chrétiens rendent grâces. 

Jésus, qui fait connaître le Père, permet de dire “Notre Père”. Ce lien, les apôtres vont avoir à s’en expliquer après la Résurrection. Et c’est à ce moment-là qu’ils vont percevoir l’efficience, i.e. l’efficacité, le rendement, la production, de l’Esprit, que Jésus avait annoncé.

La connaissance-découverte de la Trinité s’inscrit dans un domaine essentiellement révélé, qui repose sur le témoignage de ceux qui en ont reçu le dépôt. Les serviteurs de la Parole, se réfèrent à l’autorité de ceux à qui l’Esprit lui-même a rendu témoignage. Clément de Rome disait que “Les apôtres ont reçu des choses à annoncer et, remplis de certitude par la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ, affermis par la parole de Dieu, avec la pleine certitude de l'Esprit Saint, les apôtres sont partis annoncer la bonne nouvelle” (Épître aux Corinthiens). 

Le filioque ne sera pas inséré très tôt dans le credo. Fin VIe siècle un roi wisigoth use du filioque comme procédant du Père et du Fils. Charlemagne, en 800, l’introduit pour la messe de son sacre, en dépit de l’opposition du pape de cette époque. Deux siècles plus tard l’empereur Henri II de Bavière, ayant demandé pour la messe de son couronnement l’insertion du filioque dans le credo, reçut l’accord du pape. 

Les orthodoxes considèrent, selon une approche monarchiste du Père, que l'Esprit est issu du Père seul, mais qu’il se fait connaître par le Fils. Alors que pour les catholiques l’Esprit-Saint exprime la communion consubstantielle entre le Père et le Fils. Thomas d’Aquin (Sum théol, Ia, q. 36, art. 2,) fait remarquer que le Père et le Fils étant consubstantiels, il n'est pas possible que le Père agisse sans que le Fils participe totalement à son action. L’Esprit est l’agir conjoint du Père et du Fils.

Le Concile de Florence, au milieu du XVe siècle, homologuera le filioque, que les Grecs ne s’obligent pas à exprimer dans leur liturgie.

 

Gérard LEROY, le 7 août 2017