Pour Robert Brault, l’ami

   La crinière agitée par le vent, il pédalait blond, sur la pointe des pieds, la cheville souple. La courbure de son dos, en plein-cintre au dessus du cadre de sa bicyclette, renvoyait à la silhouette d’un « vieux » pour peu que son menton effleurât le guidon. 

Un proverbe arabe invite chacun à accrocher sa charrue à son étoile. Aucun accord ne fut plus juste que celui de l’homme Anquetil et de son vélo. Cet attelage homme-machine avait l’élégance des dandys du XVIIIe siècle. Le regard bien droit, fixé sur l’horizon qu’il voulait avaler au plus vite, cet homme avait été créé pour le vélo. Il était la beauté cycliste.

Ce génie de la petite-reine s’était rendu maître de son art. S’il enfourchait sa bécane au petit matin pour une étape difficile, rien ne laissait paraître l’angoisse, légitime, qu’auraient pu lui causer les difficultés à grimper, que dis-je, à gravir. 

À 50, 60 à l’heure, seul, contre le temps, contre-la-montre, ayant jeté ses douleurs au fossé, Jacques Anquetil enroulait l’impossible braquet, celui qui devait le porter plus vite vers la ligne. Son style émerveillait. 

À l’extrême limite de ses forces, il était seul à pouvoir ressentir cette jubilation d’être enfin soi, « tout seul » sur la route… et au bout sur le podium. 

Jacques Anquetil a marqué de sa grâce un sport monopolisé par les forçats.

Gérard Leroy, le 12 juillet 2019