Pour Marie et Bruno, que j’embrasse

   La science est boiteuse et la religion aveugle quand elles s’ignorent, déclarait celui dont affirmation a été relayée par Jean Paul II à l’occasion du centenaire de la naissance d’Einstein en 1979. « L’esprit critique purifie en effet la religion d’une conception magique du monde et des superstitions. » Science et religion se complètent dans une approche rationnelle. Ceci suppose que l’homme de science renonce à cette autosuffisance positiviste qui relègue la théologie dans le grenier où s’entassent les jouets d’un autre âge. Le scientisme n’est pas loin de cette hybris qui donne à la science le monopole de la vérité de l’être et de l’exister. La science ne peut pas tout dire de l’humain. Reste au théologien de cerner les terrains de recherche propres à l’un et à l’autre. Le savant et le théologien doivent respecter leurs propres règles de recherche, quand bien même peuvent-ils se pencher sur les méthodes et les résultats des autres approches.

Il y a un respect mutuel de coexistence entre science et foi, dépassant le positivisme d’Auguste Comte ou le néopositivisme de Wittgenstein. Les défenseurs vigoureux d’un scientisme outrancier sont désormais considérés comme simplificateurs.

La science, qu’exercent l’horloger, le sociologue ou le physicien, se consacre aux faits, au « comment ça marche » ; la métaphysique au « pourquoi ça marche ». Si le parcours de la foi chrétienne ne peut pas ne pas désirer, vérifier, justifier l’identification à laquelle on s’apprête à adhérer, ce parcours comprend donc, exige même d’emprunter le chemin de la connaissance historique. Ces deux niveaux méthodologiques et épistémologiques n’entrent pas en conflit.

Cette perspective rejette les concordismes, quand les découvertes scientifiques viennent confirmer des convictions religieuses syncrétistes. Ça a été la tentation de Pie XII en 1951, qui affirmait que la science et l’astrophysique confortaient l’existence d’un Dieu-créateur. La science c’est d’abord l’exercice de la curiosité, de l’hypothèse, de l’observation, du doute, de la théorisation, de l’application.

Il reste qu’il existe des types d’assertions qui peuvent être transférées du domaine des sciences expérimentales à celui de la philosophie, et même avec des résultats féconds. Pensons à la contribution de la philosophie à la science à propos des catégories « temps » et « espace ». La science, d’une part, et théologie et philosophie, d’autre part, ont en effet en commun l’objet de leurs investigations (l’homme, l’être, le cosmos).

S’affirme aujourd’hui la « théorie du dialogue ». Dotés d’une conscience unificatrice et animés par la recherche sur la vie humaine et sur le rapport avec le cosmos, nous sommes confrontés à une pluralité d’itinéraires et de résultats qui s’entrecroisent dans l’unicité de la personne. Ce serait une erreur de dissocier les contributions scientifiques de celles qui relèvent de la philosophie.

Cette « théorie du dialogue » a été reprise par Jean Paul II qui montrait que le dialogue entre science et foi : « doit continuer à progresser en profondeur et en ampleur. Nous devons surmonter toute tendance régressive vers un réductionnisme unilatéral, la peur et l’isolement voulu pour lui-même. Ce qui est important, c’est que chaque discipline continue à enrichir, à nourrir et à provoquer l’autre discipline afin qu’elle soit davantage ce qu’elle peut être ; c’est qu’elle contribue à notre vision de ce que nous sommes et devenons ». S’établit ici une distinction et une stimulation entre science et foi ; expérience et « transcendance » sont distinctes mais non isolées ni incommunicables.

En même temps que les croyants doivent se tenir à l’écart d’une apologétique excessive, les non-croyants du monde scientifique ont à reconnaître qu’une connaissance de l’humain ne se réduit pas à des paramètres scientifiques.

Nous y reviendrons dans une réflexion sur les vocations de l’esprit scientifique et de l’esprit littéraire.

Gérard Leroy, le 10 mars 2023