Il y a de quoi s'émouvoir devant la proliféreration des conflits et des drames sur la planète. Il y a de quoi s'étonner aussi, surtout depuis qu'au coeur de l'hiver 1989-1990, Berlin et Bucarest parachevaient l'agonie de l'Empire communiste. Ne croyait-on pas que la fin de la guerre froide allait lever les entraves à la coopération internationale, déboucher sur une extension de l'économie de marché, et enrichir encore un peu plus.
Il n'en est rien. La situation mondiale ne cesse de s'aggraver. Où que se portent nos regards on se bat. Pour la conquête des ressources énergétiques, à cause de l'appauvrissement des ressources en eau, des crises alimentaires; les tensions interreligieuses s'exacerbent, des bandes barbares, grabataires du cortex, déciment comme à loisir des innocents dont la faute est de ne pas tirer dans le même sens qu'eux, voire de ne pas tirer du tout. Des hommes et des enfants errent dans un monde absurde, où des roitelets tyranisent, où leurs valetailles torturent.
Que faire? L'endémie des conflits, ensanglantant un monde hébété devant ce qui lui arrive, a déclenché toutes sortes de dispositions d'urgence pour subvenir aux besoins et soulager les malheurs et les misères des victimes. Mais comment endiguer la vague déferlante de violence? Quel diagnostic porte t-on sur les conflits en vue d'enrayer leur démultiplication ?
Dans l'ensemble, leur multiplicité, leur complexité autant que l'urgence qu'impose leur gravité mobilisent et encombrent les autorités dont la faillite désoriente ceux qui attendaient de "l'Occident-phare" une sorte de new deal. D'autant qu'à l'horizon rien ne semble surgir de consistant. Le monde souffre d'un vide de sens, et voit ses premiers malades oublier dans l'alcool et la drogue une absurdité qui en entraîne d'autres dans la violence.
A l'inventaire des conflits on constate qu'il n'y a plus d'idéologies pour les amorcer, et principalement d'idéologie communiste en regard de laquelle les principes politiques des Etats pouvaient s'appuyer sur un discours philosophique pour se situer. Ce qui se dégage en revanche à l'origine de chacun, c'est une soif insatiable de pouvoir, aussi évidente chez de cyniques individus qui soumettent à leurs caprices la destinée de leur peuple, que dans des mouvements religieux qui justifient l'exclusion et l'extermination par une interprétation scripturaire qui les sert pour s'arroger le pouvoir absolu, abattre sans vergogne et semer la terreur.
Ces questions promues par une actualité tragique interpellent la conscience des croyants. Ceux-ci connaissent les responsabilités des religions dans les conflits, et savent qu'elles sont plutôt considérées comme fauteurs de troubles que comme facteurs de paix. Les belligérants qui justifièrent et justifient encore leurs exactions au nom d'une religion en ont perverti l'image. On imagine donc mal que les religions, si chargées de responsabilités dans les conflits, soient prêtes, chacune et ensemble, à se métamorphoser pour construire des ilôts de paix dans l'océan de la barbarie.
Les religions comprennent aujourd'hui leur responsabilité d'acteurs sociaux, et donc leur devoir de s'interroger sur les dispositions qu'elles doivent adopter pour assurer leur vrai rôle. La première de ces dispositions serait précisément de renoncer à ce besoin impérieux de supériorité arrogante et dévastatrice. Pour cela les croyants, de quelque tradition qu'ils se réclament, ont d'abord à corriger l'egocentrisme de leur propre religion calqué sur une vision géocentrique du cosmos, afin qu'elle cesse de revendiquer la place centrale, regardant tournoyer autour d'elle les autres religions comme des satellites en attente de rejoindre le noyau. Cette vision ptoléméenne ne tient pas. Le christianisme n’est pas l’astre central. Pas plus qu'une autre religion. Aucune religion ne peut se substituer à Dieu sans le soustraire de sa foi et se dénier. Dieu est le seul soleil autour duquel doivent tourner toutes les religions, y compris le christianisme. Il ne convient pas d'identifier le sujet collectif croyant à l'Objet qui est cru, et absolutiser une religion au nom de l'absolu dont la religion se réclame. L’astre central ne peut être que le Mystère de Dieu.
Que les religions cessent alors de s'affronter, qu'elles instaurent un dialogue entre elles qui a tant fait défaut, et qu'elles croient enfin qu'il est possible d'oeuvrer ensemble, dans le respect de leur différence, pour exprimer l'amour qui est coeur de leur vocation de foi. Ce faisant, les croyants apporteront une pierre énorme à l'édifice de paix que Dieu attend d'eux.
Le problème actuel auquel sont confrontés les croyants, n'est plus le problème de l'athéisme ou de l'indifférence religieuse caractéristique de la sécularisation. Le probléme présent, c'est celui du pluralisme qui s'exprime aujourd'hui à l'intérieur d'espaces qui, jadis, se caractérisaient chacun par une homogénéité culturelle, linguistique, comportementale, religieuse.
A chacun de puiser dans sa foi la source du respect de celui qui ne la partage pas, de s'engager à l'aimer, concrètement, en luttant pour le respect de sa dignité d'homme et en participant à son développement. A négliger cette dynamique essentielle de la foi les croyants se trompent, trahissent Dieu, et se rendent complices des conflits.
Le dialogue interreligieux est témoin précurseur de ce qui peut se faire. Il n'est pas un but en soi. Il est aussi un moteur, un facteur de paix. Il est fondement, principe, moteur de la réflexion morale, politique, théologique, lieu de recherche, sujet enfin de l'oeuvre qui consiste à rendre la terre plus habitable, oeuvre humanitaire qui reproduit et prolonge l'oeuvre de Dieu qui sert l'homme parce que Dieu aime l'homme.
Le temps que nous vivons convoque les croyants au défi. Dans le dialogue qu'ils instaurent, ils ont à passer au crible de la critique la cohérence de leur attitude avec la mission dont ils sont investis, et à reconnnaître leur propre responsabilité dans la dégénérescence, comme dans la construction, d'un monde dont nous sommes tous locataires.
G. Leroy, le 22 mai 2008