Pour mon petit-fils que j'embrasse

   Seul, et somme toute désespéré, sous un arbre du désert, un jujubier, le voilà qui soupire : “Je ne suis pas meilleur que mes pères” (1). Tiens donc ! Élie pense à ses ancêtres qui n’ont pas voulu suivre Moïse, au temps de l’Exode. Il invoque le Seigneur : « Prends ma vie ! »

C’est que Jézabel, cette reine dont il a exterminé les prophètes, a juré de se venger de lui. Elle le traque. Il le sait. Car elle n’a pas manqué de le lui faire savoir. Alors, pour sauver sa vie, il est descendu du Nord, suivi de son serviteur, pour se réfugier au désert. Parvenu au seuil de l’infini de sable il laisse là son serviteur, et continue sa route, toute une journée. À l’heure où l’ombre envahit les dunes il s’arrête, sous un genêt isolé. Le fugitif se sait encore menacé. Il s’accroupit, regarde au loin. Rien ne bouge. Pas un bruit.

Aucune âme vivante à la ronde ne peut entendre la plainte d’Élie. Il ne se tourne pas contre Jézabel, la Phénicienne, mais vers son peuple qu’il accuse d’avoir abandonné l’alliance offerte par Dieu, d’avoir tué les prophètes du Seigneur, abandonnant à la solitude le seul prophète de Dieu, lui, Élie.

Dieu l’entend et lui promet de laisser vivre un reste des sept mille hommes d’Israël qui lui sont restés fidèles. Le danger encouru par Élie, qui risque de tomber aux mains des soldats de Jézabel, n’a pas la gravité de l’échec de sa mission qui, pourtant, avait retourné ceux d’Israël qui suivaient le Baal païen. Ils les avaient ramenés à Yahvé le Seigneur.

À l’instar de Moïse, ou même de Jérémie qui alla jusqu’à regretter d’être né, Élie eut à faire front à de semblables crises.

Un ange portant un repas s’approcha soudain du prophète de Dieu : « Lève-toi et mange ! » Élie mangea. Mais ne se leva pas. Las, il n’avait plus envie de vivre. Même les galettes cuites sur des pierres chauffées que lui apportait l’ange, n’importe qui au milieu du désert s’en serait régalé ! Élie, ce colosse qui était craint comme la foudre, devenait aujourd’hui amorphe. L’ange le secoua : « Lève-toi ». L’ange insista : « Le chemin est encore trop long pour toi, il te faut manger. »

Le chemin ? Quel chemin ?

Le chemin est trop long pour chacun si un ange ne vient pas le nourrir. N’oublions pas le pain des anges, le viatique pour un long voyage. Élie finit ses galettes, reprit ce chemin qui va le mener vers le Seigneur Dieu.

Quel Dieu ?

Après un bivouac, au petit matin Élie s’entendit dire : « Qu’est-ce que tu fais ici ? » Le prophète parla alors de son zèle pour Yahvé le Seigneur, des myriades célestes qui lui obéissaient. Le prophète se désolait de ce que son zèle n’ait pas porté de fruit.

« Sors ! » dit Dieu à Élie.

Le prophète sortit. Abasourdi par une tempête inouïe. Les bourrasques de vent étaient si fortes qu’elles arrachaient des rochers qui dévalaient à grand fracas la montagne. Serait-ce le Seigneur qui manifeste sa colère ? La terre se mit à trembler. Des feux s’allumèrent. Le Seigneur est-il au milieu des flammes ?

Au milieu de ce gigantesque tohu-bohu Élie perçut « une voix de fin silence » (2). Qui effleure à peine. Comme le toucher de l’ange. Maintenant la voix de douceur apprend à Élie qui est Dieu. Et qui il n’est pas.

 

Gérard Leroy, le 5 juin 2022

 

  1. 1 R, 19,4
  2. 1 R, 19, 12