Pour Jackie et Louis Dolcemascolo, affectueusement

   La démagogie connait bien sa partition : elle active la peur. La chose est aisée : il suffit que les classes moyennes craignent d’être rongées, que la mondialisation diabolisée continue de dissoudre les particularités culturelles, que les migrants viennent bousculer l'homogénéité de nos sociétés et nos sacro-saintes « valeurs » etc. Il faut encore avoir peur du populisme de droite, de ses technocrates, de son nationalisme que menacerait Bruxelles. Alors on convoque le peuple, contre les élites remplacées par de nouvelles élites, qui prétendent parler au nom du peuple. Le peuple est mis en garde vis vis de ces nouvelles élites, qui ont l’art d’être dissimulées. Facebook en est un exemple, qui permet d’agir sur des minorités qui peuvent faire basculer une élection (cf. la Russie finançant sans vergogne des partis d'extrême droite). « Presque tous les tyrans ont commencé par être des chefs de parti populaires qui s'attiraient la confiance du peuple en attaquant les notables. » Marx avait lu Aristote !

Nos démocraties, disons-le, sont en danger à mesure que le peuple est manipulé par des « chefs » qui se voudraient les « vrais » représentants de la démocratie. On joue du peuple contre le peuple. Contre le bien commun. Ainsi se justifient les critiques avancées contre le populisme de gauche ou contre celui de droite.

S’il faut passer nécessairement par l'éducation « du peuple » (prise en charge par une frange qui ne serait « pas du peuple »), il nous faut d’abord sensibiliser en ne méprisant pas ce peuple, en ne l’exaltant pas non plus comme font les populismes de gauche. Tout citoyen doit pouvoir se former, se donner les moyens de ses responsabilités, entretenir en lui un esprit critique qui soit capable de débusquer les mensonges et de ne pas se laisser entraîner par les propagandes démagogiques. « Sans la sagesse du discernement, nous pouvons devenir facilement des marionnettes à la merci des tendances du moment » (Gaudate et exultate , § 167). Immense travail qui montre d'ailleurs que la démocratie est moins un système bien établi une fois pour toutes qu'une tâche toujours à entreprendre. 

Chacun a à prendre ses responsabilités aux niveaux les plus simples. « Un fagot désœuvré est-il un obstacle sur mon chemin ? Ce problème doit-il être résolu par les responsables politiques ? » À cette question le pape François répond sans ambages : « Cette pauvreté d’esprit est étroitement liée à la “sainte indifférence” vis-à-vis de tous les êtres créés » (cf § 69). 

Le principe de subsidiarité ne dit pas autre chose, étant un principe en vertu duquel ni l’État ni aucune société ne doit se substituer à l’initiative et à la responsabilité des communautés de personnes ou des intermédiaires, ni détruire l’espace nécessaire à leur liberté. Toute collectivité, depuis la famille jusqu’à l’empire, doit pouvoir gérer ses affaires à la mesure de ses moyens, et ne transmettre le pouvoir à une autorité supérieure que pour des questions qu’elle est incapable de gérer ou résoudre. Conjugué avec le principe de solidarité, le concept de subsidiarité permet à l’État de servir la personne humaine en contrôlant l’excès des tendances individualistes. Il nous revient donc d’encourager les initiatives, permettant de lutter contre l'idée que tout dépend d'« en-haut », d'une élite lointaine qu’on qualifie de méprisante ; le peuple comprendrait alors que la démocratie ne passe pas seulement par des représentants, mais que chaque citoyen peut et doit être actif. Il nous faut aujourd’hui quitter la culture du conflit, et se demander comment défendre la démocratie et les institutions qui protègent nos libertés. 

Réjouissons-nous de ce que cela soit engagé, par des forums, des associations locales, des prises en charge de gens fragilisés, bref des formes de démocratie participative. Ce qui montre que le peuple n'est pas une multitude désordonnée, mais qu'un peuple se constitue en se forgeant et qu'il ne le peut que par l'éducation à la raison et à la vie commune, donc aussi en prenant sa part de responsabilité. La démocratie ne consiste pas seulement en une délégation de pouvoirs (par la représentation) mais aussi en un exercice concret par les citoyens de leurs aptitudes. Tout part de la question : « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir apporter ? »

 

Gérard Leroy, le 10 janvier 2020