À Jean-Paul Bourdineaud, professeur de biochimie, de microbiologie et de toxicologie environnementale à l’Université de Bordeaux.

   C’est avec intérêt que j’ai lu vos remarques argumentées dans votre lettre adressée à Charlie le 29 juillet 2021. Si je suis bien dans l’incapacité d’être juge, elles m’apparaissent pertinentes, interpellantes, et pour le moins au regard du béotien que je suis, scientifiques. Vous dites des choses que j’ai retenues. Vous explorez la qualité des différents vaccins, celui contenant le virus SARS-CoV2 et ses variantes, inactivées, le vaccin chinois, le J & J, qui produit des anticorps contre le variant delta. Vous évaluez la durée de vie de ces vaccins selon que l’individu est vacciné ou infecté. Vous invitez à doser les D-dimères dans le sang pour repérer la présence de micro-caillots ; vous révélez les effets de la protéine S sur les cellules endothéliales qui tapissent la paroi interne des vaisseaux, l’ACE2, le Sanofi annoncé ; vous remettez en cause la non génotoxicité en faisant l’hypothèse que l’ARN vaccinal s’intègre dans le génome des cellules humaines après sa transcription en ADN sous l’influence d’une enzyme « transcriptase-inverse… Bref, vous brandissez le panneau : « Attention ! Travaux ! »

Vous dites des choses… contraires à ce que d’autres disent. Voilà qui génère une belle confusion. Les outils d’analyse et d’observation sur la circulation du virus diffèrent. Nous sommes tous vaccinés contre le tétanos, reconnaissez-vous, mais vous exigez que nous eussions un véritable choix vaccinal. Reconnaissez que le discernement exige la connaissance en amont. La connaissance du réel n’est pas, pour moi, sans la méthode qui nous y conduit. Le défaut vient de ce que chacun prétend posséder une méthode exclusive. Les Martin Blachier, Philippe Juvin, Karine Lacombe, Patrick Pelloux, Éric Caumes, Anne-Claude Crémieux… vous et ceux-là, bardés des plus hauts accessits, vous semblez ignorer le malaise que vos oppositions génèrent dans l’opinion publique. Qui choisit de suivre celui-ci parce qu’il a une moustache, celle-là parce qu’elle est propre, un autre parce qu’il a perdu sa grand-mère… « On s’engage par goût, rarement par argument » disait Nietzsche. Ça se vérifie. La pandémie de coronavirus devrait forcer à la prudence et à l’humilité à chaque prise de parole.

Nous avons tous une perception de la crise, personnelle, avec un avis rencontrant parfois des oppositions sur la manière la plus efficace d’endiguer l’épidémie. Il n’y a pas de vérité scientifique unique et incontestable concernant la vaccination, dites-vous. En cela une grande partie de l’opinion pourtant divisée vous rejoint.

Le fond du message reste, lui, fidèle à la rationalité scientifique. Ce qu’appelle le médecin urgentiste Philippe Juvin, non sans manquer d’écorcher les soi-disant effets bénéfiques de l'hydroxychloroquine vantés par le professeur Dieur Raoult. « La rationalité finit toujours par gagner », résume Martin Blachier.

Vous encensez Didier Raoult, ce professeur, que vous et beaucoup d’autres perçoivent comme génial. La connaissance de sa discipline n’est pas à remettre en cause. Il ne dispose cependant pas, à mon observation, d’une intelligence et surtout d’une honnêteté à la hauteur de son savoir, en prétendant vrai, au prétexte qu’il sait, ce que d’autres prétendent faux à l’observation des falsifications qui ont émaillé les résultats de ses études, révélées bidon par ses pairs ! Et notamment par Elisabeth Bik, une microbiologiste néerlandaise, qui a mis au jour une soixantaine d’anomalies ou de falsifications dans les études passées de l’IHU. Éric Chabrière, adjoint de D. Raoult, a voulu se venger en allant publier sur les réseaux sociaux dont il est « geek », l’adresse personnelle de Madame Bik. Aveuglés par les effets de manches de Raoult, des politiques s’en sont allés exécuter des tours de souplesse dorsale dans le bureau du maître et lui donner l’onction devant les caméras ? Des journalistes se sont rendus comme au chevet de sa Majesté. Docilement recueillis autour de Raminagrobis ils ont avalé les propos méprisants du dieu de l’infectiologie à l’encontre de la valetaille de ses confères. Quand les ego se chamaillent, les scientifiques ne servent plus la population. Ils la trompent.

J’ai relu votre long texte deux fois. Pour vérifier le sentiment éprouvé à la première lecture. Tout texte, mythologique, biblique ou juridique, doit passer au crible de la critique textuelle pour permettre au lecteur d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support et découvrir que la signification de la vérité reste impossible à dire d’un simple point de vue scientifique ou philosophique, impossible à transmettre sans le secours, le détour du symbole et du mythe, sans tenir compte du ressentiment qui envahit l’auteur. Le vôtre explose contre le régime « macronien », autoritariste, antidémocratique, contre les députés godillots, les médias courtisans. Vous déversez votre venin sur les médecins « en cour élyséenne », portés au pinacle « en dépit de leur médiocrité » telle Karine Lacombe, que vous comparez au technicien agricole Trofim Lyssenko, ce pseudo-scientifique adulé par le régime stalinien. Vous allez même jusqu’à comparer la situation actuelle avec la politique antisémite impulsée par Vichy ! Comme vous y allez !

C’est, à mon sens, une erreur de penser, parler, agir (on est renvoyé à la devise mazdéenne) sans vous mettre en relation avec autrui, sans tenter de vous universaliser. En relation, pas d’abord en opposition. Il nous faut accepter la diversité culturelle contemporaine, il nous faut entendre des argumentations contraires de gens compétents, procéder descriptivement envers le contenu des vécus pour y déceler la partie vraie à distinguer de l’humeur. Le savoir phénoménologique est toujours un « savoir voir » et nous ne regardons pas tous dans la même direction. Mais comment faire société, sans avoir quitté la culture du conflit, qui ne reflète et ne fait qu’accroître nos faiblesses. Il devient urgent d’adhérer à la culture du dialogue. Il nous faut passer de la séduction à la conviction, de la détestation à l’adhésion, de l’indignation à la mobilisation pour un projet qui mérite l’engagement. Nous habitons un Global village (Mac Luhan).

Nous recevons aujourd’hui une information qui couvre tout et ne pénètre que rarement les choses. Elle est aussi vaste qu’impuissante devant les drames humains dont les séquences défilent chaque jour sur nos écrans. La science inquiète autant qu’elle enthousiasme. Sa puissance énorme, impersonnelle, lui permet de manipuler autant que détruire. Qui est responsable ? Les scientifiques ? Les politiques ? Ne nous défilons pas. Les responsables, c’est nous. Vous et moi. Tous, chacun selon ses talents, au nom de la sacro-sainte démocratie oubliant ses principes depuis ce bon vieux Périclès, nous ne nous admettons plus responsables que par procuration. L’explosion atomique au-dessus d’Hiroshima aurait dû nous poser la question qui reste impunément inédite : ne sommes-nous pas dépassés par la puissance de ce que nous avons inventé ? A-t-on la moindre idée du comment réagir ?

Le savant actuel ressemble, mais de loin, au démiurge platonicien (voir le Timée 28 a-c…) quand le savant pétrissait la matière du monde en imitant les idées. Le savant d’aujourd’hui n’entend pas les idées comme les entendait Platon. Il les entend comme des suites d’opérations qui guident son travail technique vers un avenir prévu, prédéterminé. La prévision scientifique impose au futur d’être conforme à ce que nous voulons qu’il soit, à partir de notre présent. De là surgit une conclusion qui peut paraître paradoxale à notre mentalité superficielle : la science en vient à ignorer le réel.

La micro-biologie, votre spécialité Monsieur Bourdineaud, la biologie en général, m’apparaît comme l’une des sciences les plus fascinantes et les plus inquiétantes à la fois, à l’instar du sacré que définissent comme tel les théologiens. Les biologistes, pour autant que je puisse tirer quelque instruction de mes échanges, supposent ne pas devoir considérer les limites qui viendraient des individus, des hommes et des femmes réels de demain dont ils programment aujourd’hui la production. Ils ne considèrent pas la réalité libre des personnes qu’ils s’apprêtent à fabriquer. Dès lors, l’individu se sent désemparé dans un univers scientifique qui le domine et qui le prend pour l’instrument du moment. Jusqu’à nos enfants que la science ne considère pas en fonction d’eux-mêmes, mais de nos prévisions qu’animent nos angoisses inavouées et nos songes d’une libération de nos limites d’être.

Les étudiants attendent de l’Université de quoi réfléchir sur le sens de la vie et de la société, mais ils n’y apprennent qu’à gagner leur vie dans ce monde hostile que nous leur avons transmis. Notre époque, dit-on à l’envi, est en crise. Ne serait-ce pas parce que nous avons oublié de discerner, distinguer, différencier les dimensions temporelles les plus élémentaires entre le passé, le présent, le futur, parce que somme toute, nous avons perdu le sens ? La science a oublié, voire supprimé, la considération qu’il faudrait accorder à la différence des extases temporelles. La science est par essence, projective et anticipative. Son futur est à la portée de ses calculs. Et elle l’invente à partir de son présent, qu’elle pétrit comme de la pâte à modeler. La science qui méditait jadis sur l’origine, vise maintenant l’avenir. Une fuite qui masque mal notre incapacité à résoudre la pauvreté et qui trouve sa fierté compensatoire à élever vers la lune des singes transgenres.

L’homme de l’ère atomique sait qu’il peut améliorer matériellement son existence. Mais sa vie spirituelle, ses amours et ses haines, son passé, son futur, tout ce qui fait son histoire réelle, tout cela échappe aux calculs de la science et m’amène à rejoindre M. Heidegger qui concluait que la technique reflète l’oubli de l’être.

Veuillez croire, Monsieur, à mon respectueux dévouement,

 

le 27 août 2021, Gérard Leroy, gd.leroy@gmail.com

Jean-Paul Bourdineaud,

CRIIGEN, 66 rue Cornet

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