« Questions en partage », est consulté ou lu chaque mois par plus de 20000 visiteurs proches et lointains. Cette 800e chronique se présente en 3 observations personnelles. La 798e porte aujourd'hui sur l’origine du mal qui ronge aujourd'hui le monde, la 799e portera sur notre vacuité politique, la 800e sur l’Église de France aujourd’hui. J’ai le plaisir de vous réserver ces 3 chroniques en hommage amical.

L'existence serait-elle dépourvue de sens, d’intelligibilité, d’une justification ? Que nous dit l’aujourd’hui que l’on traverse, inquiets.

On observe une grande coupure qui sépare ceux qui s’intéressent à ces chemins de sens et ceux qui ne voient de vérité que dans les résultats des seules sciences et techniques, les scientistes de tout poil, et les pélagianistes, dénoncés par le pape François, qui ne croient qu’au talent de l’homme. 

De là ne vient-il pas le mal qui ronge le monde présent, qui en a peur d’autant qu’il ne l’explique pas ? Comment exiler le mal au cœur de nos vies ? En observateur attentif du conflit russo-ukrainien surgissent 3 sujets de réflexion autour du mal : le tragique de l’histoire qui, ici, n‘est pas comparable à la tragédie grecque, la racine du mal, et l’absence de l'efficience de Dieu. 

Nous n’admettons que difficilement notre statut d’ « être vers la mort ». Là surgit l’angoisse de la finitude et dans le même temps la volonté de transcender notre nature. Il nous faut penser « mal et finitude », articuler l’inarticulable. Nous sommes tentés par une approche ontologique de la racine du mal, moins pour l’assumer que par désir intense de le dépasser. D’où la tentation de transcender notre nature. En quête d’un idéal inatteignable, infini, nous nous laissons envoûter par les leurres d’une surnature.

L’image de la finitude en l’homme est alors jetée aux orties. Elle gêne. Car survient l’angoisse, ou « l’horizon bouché de l’existence » ancrée chez Foucault, voire Thomas d’Aquin. À la finitude qu’aspire la bête à dépasser, le fou prométhéen sous les traits de l’invisible Satan cherche à nous en exempter. Satan fait mal. Avec le sourire de Poutine. 

Ces gens conçoivent l’être humain sans signification. Apprenant la mort d’un homme Staline s’émouvait, par pur conformisme (excepté quand sa femme s’est suicidée), et prétendait que 1000 morts était une « affaire de statistiques ». Ni l’homme ni l’univers n’auraient de signification. 

Trump lui-même, réduit l’identité américaine à celle des Blancs venus d’Angleterre, soutenus par les évangéliques. Les autres, « café noir » ou « café au lait », sont considérés comme des gens de seconde zone. Les démocrates eux, ont une autre conception de l’homme qui se superpose au texte de la Constitution américaine qui vise : « une union plus parfaite » (a more perfect union), qui promeut une société capable de se transformer pour atteindre ou approcher l’égalité et la liberté.

En France, les islamophobes (la phobie signifiant la peur) craignent la présence des musulmans, et imposent des limites, interdisant par exemple de porter le voile même dans la rue. Ce projet discriminatoire est l’exemple même de la version française de la lutte identitaire qui oppose républicains et démocrates américains.

Comment surmonter ce clivage ? C’est moins du ressort de la politique que des mentalités, de la culture. Il s’agirait de transcender le bienfait de la diversité, comme l’a suggéré le philosophe canadien Charles Taylor. Ce qui exige un changement profond dans la conception de ce qu’est la vie bonne, qui réalise vraiment le potentiel de l’humanité. Des modèles s’imposent, Martin Luther King, Vaclav Havel, Jacinda Ardern, premier ministre de la Nouvelle-Zélande. 

L’outil, pour amorcer cette métamorphose, c’est l’éducation, qui convoque ensemble la famille et l’école. L’éducation ne se réduit pas aux résultats scolaires et à l’installation confortable dans le fauteuil molletonné d’un rang social envié. L’éducation n’est pas uniquement destinée au marché du travail. 

Aujourd’hui notre culture s’enthousiasme pour les choses qui se vendent et s’achètent, « qu’on roule avec », qu’on trafique, qu’on goupille, qu’on accumule pour les refiler à bénéfice.

L’éducation, au lieu d’abêtir les jeunes dans le « réflexe wikipedia », doit comprendre l’apprentissage au dialogue, servir à la qualité du lien social, à la transmission intelligente du savoir, au savoir vivre, à la qualité éthique de la société. L’éducation fait l’apprentissage d’une approche d’autrui, d’une relation qui accepte la différence et ouvre une autre possibilité de vivre ensemble, abandonnant la posture de crainte, de haine, de colère, de peur, afin de comprendre l'autre comme un partenaire possible.

Tandis que le monde d’aujourd’hui cultive le conformisme des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, en quête d’improbables Cythères, notre futur espéré exige une prise de conscience, une responsabilité individuelle et collective, une unité, une certaine égalité entre les citoyens. Face à la haine les régimes autoritaires commencent à séduire. 

Il nous faut retrouver une âme, une raison d’être, un enchantement, une gaieté, une ivresse. L’espérance ! Sinon nous allons croupir, sans légende, sans mystère, sans grandeur.

Éloignons-nous du tout faux, du truqué, vers lequel on court  comme le cochon va vers la truffe. Dépouillons-nous de la fausse grandeur, de la fausse force, de la fausse grâce, de la fausse vertu, de la fausse pudeur. 

Préparons-nous à renaître. Dé-formatés.

 

Gérard Leroy, le 25 août 2022

 

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