Pour Bertrand et Bruno, en hommage affectueux
Martin Heidegger nous invitait à prendre nos distances avec l’acception courante du communisme, pour découvrir le sens ontologique et historique que lui a légué le marxisme.
Cette notion est utilisée par le philosophe allemand à la fin des années 30 dans un court essai qu’il titre koinon, d’un mot grec qui traduit une assemblée politique de cités, voire un État fédéral dans la Grèce ancienne, structuré par les intérêts communs de ses habitants, rassemblés par leur appartenance ethnique commune, ou la pratique d'un culte commun. Cette notion du groupe humain est perçue comme le gène dont hérite le pouvoir de domination.
L’essence du communisme, selon Heidegger, est précisément l’hégémonie de la puissance, la toute-puissance de la puissance, conformément au caractère inconditionné de la « manipulation ». Il ne s’agit donc ici ni d’une forme d’État, ni d’une vision politique du monde, mais de la configuration métaphysique d’un monde parvenue à son terme. Le communisme serait ainsi l’âge de l'absence de sens comme structure spécifique du comprendre où l’étant (1) ne parvient pas à s’approprier son être propre du fait de l'abandon ontologique de son être, subordonné désormais comme composante des forces productives qui déterminent le rapport de l’homme à la nature et conséquemment la structure économique de la société.
Selon le penseur allemand les idéologies totalitaires sont aujourd’hui des conséquences du communisme, qui existe à l'état latent dès le début des temps modernes dès lors que s’érige la théorie moderne de l'État garant de la souveraineté, et l'économie politique garante du bonheur. Cette théorie est dangereuse du point de vue de Heidegger. Car il s'agit de renvoyer dos à dos le totalitarisme et le libéralisme, en montrant qu'un certain type de démocratie reposant sur le seul principe du libéralisme économique porte en lui la possibilité du totalitarisme. Ce que percevait le Général de Gaulle en définissant le capitalisme comme fondé sur un préjugé selon lequel le profit est incitatif, suscite l’initiative, et invite à fabriquer de plus en plus de richesses qui, en se répartissant par le libre marché élève, en somme, le niveau du corps social tout entier.
Cependant la propriété, la gouvernance, le bénéfice des entreprises dans le système capitaliste n’appartient qu’au capital. Ceux qui ne le possèdent pas se trouvent dans une sorte d’état d’aliénation à l’intérieur même de l’activité à laquelle ils contribuent. Du point de vue de l’homme le capitalisme n’offre donc pas de solution satisfaisante.
A l’opposé du capitalisme se dresse le communisme qui, selon Heidegger, est l’hégémonie de la toute-puissance, conséquemment à la « machination ». Heidegger conclut que la guerre est issue du déploiement total de cette « machination ». Le terme heideggérien de Machenschaft, « machination », est inspiré par le concept de « mobilisation » chez Ernst Jünger, figure intellectuelle de l’Allemagne tout au long du XXe siècle qui conçoit la société comme une totalité pour laquelle la croissance de sa propre puissance s’accomplit dans une « mobilisation » infinie et destructrice, et constitue une fin en soi. L’étant, tel qu’il est interprété par Nietzsche, est réduit à la volonté de puissance.
C’est en vertu de la machination que l’étant devient entièrement calculable et programmé.
La guerre n’est donc pas la simple continuation du politique mais sa métamorphose foncière, la guerre définissant l’essence du politique comme processus d'hégémonie planétaire aboutissant à une servitude généralisée. On l’aura compris : ce processus d’hégémonie planétaire (2) déjà latent lors de l’Holodomor voulu par Staline, est aujourd’hui au cœur de la perspective de Vladimir Poutine.
Gérard Leroy, le 1 décembre 2023
- Le mot "étant", qui appartient au vocabulaire existentialiste, renvoie à l'existant authentique, qui implique l'enracinement, la liberté, la réalisation de soi, la signification de tout cela étant opposée à l'être commun, l'être en général. Là est la différence entre ontologie et existentialisme.
- Les tee-shirts en vente en Russie aujourd’hui arborent le portait de Poutine avec la légende : « La Russie n’a pas de frontière ».