Pour Henri-Luc, en hommage amical
Ce que je vois d’autrui c’est son visage, non pas entre autres choses à voir de lui, mais ce que je vois d’abord. C’est à son visage que s’adresse ma quête, sur lui que se fixe mon regard attentif.
Le visage est visible. Mais dans le visible le visage a un statut particulier : il est en même temps expressif. Il ne se laisse pas enfermer dans une forme plastique. Il déborde ses expressions. Il est irréductible à une prise, à une perception prédatrice. Il révèle, selon Lévinas, le signe vers l’invisible de la personne qu’il donne à voir. Il n’est ni une image pure ni un concept désincarné. Il est à la jointure du sensible et de l’inintelligible immédiat, car il ouvre sur l’intelligible qui ne serait pas une pure idée, le substrat de la “réduction eidétique” c’est-à-dire ce qui est donné à voir comme une essence pure « en éliminant les éléments empiriques variables d’un donné concret » pour le dire comme Husserl.
Il apparaît au-dessus du corps. Il est donc « épiphanie ». Le visage d’Autrui interpelle le Moi et met en question le quant-à-soi égoïste du Moi. Pour E. Lévinas : c’est le non-visible, comme non descriptible du visage d’autrui qui, comme trace de l’invisible exige la responsabilité.
Autrui apparaît donc comme une autre vérité que celle des objets relevant de la perception. Autrui « ne limite pas la liberté du Même ; il l’instaure et la justifie » (1).
Gérard Leroy, le 6 septembre 2024
(1) Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, Martinus Nijhoff, p. 175.