En partage affectueux avec Monique, Jazy, Robert Brault et Bertrand Jacquier
1er février 2024, la légende du sport français est mort, à l’hôpital de Dax.
Michel Jazy avait suscité un immense engouement populaire. Le demi-fond fut son terrain de gloire. Du 800 m au 5.000 m, il collectionna 9 records du monde, 17 records d'Europe et 43 records de France. Qui dit mieux ?
Couvé par Alain Mimoun, il copia sa rigueur. Et surprit tout le monde aux J.O. de Rome en prenant la médaille d’argent du 1500 mètres derrière le recordman du monde du mile.
Rien ne résistait à cette volonté de fer, volonté de ch’ti.
J’ai eu le privilège de partager avec Michel de nombreuses séances d’entraînement au Bois de Vincennes, sur un circuit qui portait son nom depuis les J.O. de Rome en 1960, le « circuit Jazy »,.
Permets-moi, Michel, d’exhumer les souvenirs enthousiasmants que tu as semés. En me penchant sur ta propre histoire, contemporaine à la mienne, partageant une commune passion. Des mille et un souvenirs que je garde de toi je détache ce mercredi 12 octobre 1966.
Tous les journaux annonçaient ta tentative. Encore une. Depuis une demi-douzaine d’années tu nous tenais en haleine chaque fois que tu chaussais les pointes.
À l’approche du stade Chéron, à Saint-Maur, la circulation se faisait ce soir-là plus dense depuis le château de Vincennes. Le stade allait être archi-plein, c’était sûr. On avait, par précaution, rajouté des gradins. Pour ne rien manquer de cette « Soirée de Saint-Maur » des spectateurs se juchaient sur le toit des tribunes ou prenaient même le risque de grimper le long des pylônes des projecteurs du stade !
Dans l’attente de ton apparition on appréciait ce petit écrin de verdure au cœur de Saint-Maur-des-Fossés, et l’on prenait un réel plaisir à goûter ce privilège d’être là, présent, sur ce stade mythique Adolphe-Chéron qui se dotait du plus prestigieux album de souvenirs qu’aucune arène au monde ne peut présenter.
Tu faisais l’unanimité des Français. À ces désormais célèbres soirées de Saint-Maur, créées puis organisées par toi et Jean-Marie Wagnon, on croisait des athlètes venus de partout. Tout ce beau monde a écrit les belles pages de l’histoire de l’athlétisme…
L’athlète et le public faisaient corps. On s’interpellait, on s’embrassait même. Chacun éprouvait le sentiment d’être en famille. Lorsque tu t’attaquais à un record du monde, qu’il fût à Dôle, à Rennes, à Goteborg, à Melun ou à Sochaux, les organisateurs de la course s’entendaient avec les chaînes de télévision pour que la course se déroulant à 20 heures le journal télévisé s’interrompe afin de la retransmette dans son intégralité. La France était derrière toi, Michel.
Quand le 12 octobre 1966, tu annonces, sur ta piste fétiche, que tu prends ta retraite sportive, l'événement est considérable.
Ce soir-là tu ne peux décevoir. Il te fallait un record. Et pas n’importe lequel. Un record du monde, ajouté à la flopée que tu collectionnais. Tu voulais un vrai jubilé. Avec le public, ton public. Engagé sur 2 000 m, ton ami Jean Wadoux t'emmena à un train d'enfer jusqu'à l’entrée du dernier tour. Tu tenais. La foule était suspendue à ta foulée. Jusqu’au bout. Seul. Dans un sprint infernal tu franchis la ligne en 4’56’’02. La foule exultait. Tu avais pulvérisé le record du monde du 2000 mètres. Tu rentrais au vestiaire bardé du plus beau des palmarès du sport français.
Tu saluais ce soir-là l’athlétisme qui te doit tant. Ton « au revoir » nous prenait aux tripes. Tu partais, à la manière de Cyrano, sans jamais te départir de ce qui fit l’admiration de tous : ton panache. Merci Michel.
Nous nous sommes promis en août dernier de nous revoir bientôt. Alors à bientôt l’ami. On mangera les huîtres que tu aimais tant, au banquet préparé…
Ce soir je partage avec Monique le pain et le sel de ta nuit.
Gérard Leroy, le 2 février 2024