Pour Sophie Guerlin, en hommage amical

   Notre monde doute. Comme l’apôtre Thomas. Nous raisonnons ! C’est légitime. Nous optons parfois paresseusement pour la croyance naïve. Le doute n’est-il pas plus proche de la foi que de l’incroyance ? 

Thomas cherche son Dieu du côté de la preuve. Il l’enferme dans sa raison. Il nous ressemble.  En cela il est bien notre vrai jumeau.

Il se culpabilise d’être arrivé en retard après l’annonce de la résurrection, comme ceux qui cherchent des raisons de croire, d’aimer et d’espérer. Il est le symbole de notre quête de réponses, à des questions qui ne peuvent en recevoir de définitives. 

 Certes, comme lui, nous voudrions voir, comprendre, toucher... L’écueil est dans le geste de ranger la foi dans le champ d’un contenu à transmettre,  pour des sachants ! Qui disposeraient de l’outil du croire !

Nous sommes nombreux qui croient savoir, et même certains pensent détenir des preuves. Et il y a aussi ceux pour qui l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence… 

«Heureux ceux qui croient sans avoir vu» dit l’Évangile. Comme si le doute et l’absence étaient constitutifs de notre bien-être, de notre bien-croire ! Un laïcard, un jour m’a lancé : « On n’a jamais démontré l’existence de Dieu ». C’est ignorer les travaux d’Anselme de Canterbury et de Thomas d’Aquin (qui n’ont d’ailleurs fait que proposer des « voies vers Dieu »). Comme si le manque de preuve était l’argument du rejet. Cela ne se vérifie-t-il pas dans l’amour, l’espérance et la foi ? On ne cherche pourtant pas à prouver l’existence de celui ou celle qu’on aime. On l’aime. Et c’est déjà beaucoup. C’est tout. Il n’y a pas de raison de croire. 

Dieu ne se prouve pas. Il s’éprouve.

C’est la confiance qui ouvre les yeux.

C’est l’espérance qui donne à voir.

Faut-il comprendre pour croire ? Ou croire pour comprendre ? Je pense que les deux mouvements sont en rapport de réciprocité causale. Il me faut savoir l’histoire racontée par les Évangiles. Savoir sans réfléchir est vain. La saisie des significations contenues dans l’Évangile ouvre à l’adhésion. En revanche, la foi ré-interprète le sens de mon existence en acceptant une parole qui fait lumière et vérité.

Si nous regardons le monde et le tragique de l’histoire avec un œil confiant, tout change !

Si nous regardons notre voisin, en ne retenant que ses turpitudes, alors on fait ce que Nietzsche appelait la moraline. Ça voudrait être de la morale, ça y ressemble, et ça n’en est pas. Ça n’est que la simplification et la rigidification morale qui se coupe de toute compréhension. Quand on s’indigne, qu’on disqualifie sans réfléchir, on fait de la moraline. La moraline est péremptoire et exécutoire. Elle refuse de penser, d’analyser, d’ouvrir à l’intelligibilité de la personne disqualifiée.

Si l’on commence par voir l’autre comme une menace, c’est autre chose que ce vers quoi nous porte la fraternité chrétienne qui, elle, est fondée sur le divin sang de ce juif Jésus. Tout homme étant racheté dans le Fils est effectivement mon frère, mon frère à aimer, dans l’indésirable, la première gueule antipathique venue. J’y consens parce que, avec les yeux de la foi, cette sale gueule est divinement fraternelle, appelée comme la mienne par Dieu.

Enfin, si l’on regarde la vie —qui naît, grandit et s’éteint— seulement avec les yeux de la science, on ferme les yeux sur une destinée plus grande que l’histoire d’un humain. Nous sommes invités par le Christ à croire que la vie recèle toujours plus que ce qu’elle donne à voir…

La vie de celui qui croit devient alors inspirée plus que désespérée, sereine plus que révoltée. 

Que la confiance soit en chacun.

Gérard Leroy, le 13 octobre 2022