Pour Alix avec mon affection, et pour Bernard en hommage amical

   La philosophie existentialiste est, selon Sartre, une philosophie humaniste, qui place la liberté humaine au-dessus de tout. « L’existence précède l’essence ». Précède-t-elle ou a-t-elle le primat sur l’essence ? L’humanisme défend la valeur de la personne humaine qui cherche à réaliser son épanouissement.

Pour les marxistes, l’existentialisme est une philosophie bourgeoise et contemplative, individualiste. Or, pour Sartre, sa philosophie est fondée sur l’action libre et ne saurait être réduite à la contemplation. Le sujet sartrien se fait lui-même. 

Sartre critique aussi l’esprit qui consiste à contempler et à attendre que le destin humain soit inscrit dans le « Ciel des Idées ». Au fond la critique marxiste démontre que l’existentialisme est en effet un individualisme. Sur le reproche individualiste, Sartre aura plus de mal à répondre.

Les critiques catholiques se penchent sur l’absolu de la liberté que Sartre reprend à Kant. Si Dieu est, alors l’homme s’inscrit dans la dépendance de Dieu, et l’homme n’est plus. Pour que l’homme soit libre il faut que Dieu ne soit pas. Il n’y a pas de place pour deux. Or, pour les philosophes catholiques, l’absence de Dieu condamne l’homme à vivre de manière absurde.

La philosophie n’est pas, pour Sartre, nihiliste car l’homme est le créateur de ses propres valeurs. Être et se faisant, être ce que l’on s’est fait.

Pour Sartre, l’idée d’un existentialisme chrétien (Jaspers, Kierkegaard, Pacal) est incohérente : si Dieu est, alors l’homme n’est pas.

Sartre et l’existence

Sartre renverse la perspective classique depuis Platon, qui défend une approche essentialiste : l’essence précède l’existence. Ainsi selon Platon (cf. la République), la philosophie s’est-elle penchée sur l’Être, l’existence n’étant qu’un mode secondaire, dérivé de l’Etre.

Chez Sartre, Exister signifie se projeter hors de soi. L’homme existe en ce qu’il n’est rien de défini, il devient ce qu’il a décidé d’être.  « Être et se faisant être ce que l’on s’est fait »). L’homme crée son existence en se choisissant. La notion même de « nature humaine » devient absurde, puisque cela confère à l’homme une essence à laquelle l’homme ne peut pas s’arracher. Le sens de l’homme est de créer du nouveau, à la seule condition qu’il soit libre.

Sartre et la liberté

« L’homme est condamné à être libre ». Si la liberté humaine est absolue (cf. Kant), le sujet est néanmoins engagé dans une situation donnée. Mais c’est l’homme qui donne un sens à la situation. Le monde n’est jamais que le miroir de ma liberté. La liberté est vue par Sartre comme un pouvoir de néantisation, comme un dépassement du donné (« l’homme est un “pour-soi »). Créer des possibles suppose la liberté. “Etre condamné à être libre, cela signifie qu’on ne saurait trouver à ma liberté d’autres limites qu’elle-même“. Ne pas choisir, c’est encore choisir de ne pas choisir. La seule limite à ma liberté est ma mort. Mourir c’est ne plus exister.

Sartre distingue 6 modes de facticité, c’est-à-dire les déterminations pesant sur l’homme :

- le fait de naître dans un temps et un lieu donnés

- le fait d’avoir un corps

- le fait d’avoir un passé, une histoire

- le fait d’exister dans un monde qui préexiste

- le fait d’exister parmi d’autres sujets (intersubjectivité)

- le fait de mourir (finitude)

Sartre et l’intersubjectivité

Le rapport des consciences chez Sartre se présente sous le mode du conflit : chaque conscience exige de l’autre d’être reconnue comme conscience libre. Ce qui peut faire de l’autre mon maître (« l’enfer, c’est les autres »). Autrui devient autrui lorsque sa volonté, sa liberté s’oppose à la mienne. Cette analyse de l’intersubjectivité remonte à Hegel et à lutte des consciences.

Le regard d’autrui me révèle son existence. Lorsque je le regarde, je fixe autrui dans son être, j’en fais une chose regardée, donc je domine. À l’inverse, si autrui me regarde, je suis « choséifié ». Je suis ce qu’autrui voit de moi.

Conclusion de Sartre :

L’homme est constamment hors de lui-même. C’est en se projetant, en se perdant hors de lui qu’il fait exister l’homme qu’il parvient à être et, d’autre part, c’est en poursuivant des buts transcendants qu’il peut exister ; l’homme étant ce dépassement et ne saisissant les objets que par rapport à ce dépassement, est au coeur de ce dépassement. Il n’y a pas d’autre univers que celui de la subjectivité humaine. Cette liaison de la transcendance, comme constitutive de l’homme —non pas au sens de Dieu, mais au sens de dépassement— et de la subjectivité, au sens où l’homme n’est pas enfermé en lui-même mais présent toujours dans un univers humain, c’est ce que Sartre appelle l’humanisme existentialiste. Humanisme, parce que nous rappelons à l’homme qu’il n’y a d’autre législateur que lui-même, et que c’est dans le dépassement qu’il décidera de lui-même.

Si le texte de l’Existentialisme est un humanisme est loin d’être le plus précis de la pensée de Sartre, il a au moins le mérite de rendre sa pensée plus accessible donnant à réfléchir sur ses principaux concepts : la conscience, autrui, la responsabilité, la mauvaise foi, la liberté …

 

Gérard Leroy, le 6 novembre 2024