Pour Maryline Lugosi, en hommage amical

   Le chemin de la synodalité a emprunté celui que Dieu attend de l’Église d’aujourd’hui. Cet itinéraire prolonge l’ « aggiornamento » proposé par le Concile Vatican II.  

Le collège des évêques et l’évêque de Rome se sont disposés à l’écoute les uns des autres, en même temps qu’ils maintenaient l’attention à l'écoute de l'Esprit Saint. Pourquoi un tel processus à ce moment de l’Histoire de l’Église ? À quel appel répond-il ?

Nous ne sommes pas une époque de changements, mais nous traversons un changement d’époque, notait le père Christoph Theobald sj, qui s’est penché sur les enjeux de ce synode. Cette époque est marquée par la crainte de la transition écologique (cf. Laudato si’), les violences croissantes dans nos sociétés, qu’elles soient de type politique, verbal, ou exprimées par les guerres. Un autre texte, l’encyclique Fratelli tutti, rappelle la haute considération que l’on doit conserver de la politique, au sens noble du terme bien entendu.

Le troisième appel provient du Concile Vatican II : quelle est la place des baptisés dans l’Église ? Une des thèses fondamentales du Pape est l'égalité baptismale entre tous les fidèles. Quelle participation active peuvent envisager les chrétiens dans l'ensemble de la vie de l'Église. « Nous sommes dans un kairos » (un temps de crise) dit le P. Théobald. Nous avons à repérer ce moment où la grâce passe sans doute d'une manière plus particulière, inédite. Notre mission est de faire vivre les Églises locales dans l'Église universelle. Les Églises locales sont chacune une partie du tout de l’Église universelle.

Le Concile Vatican II insistait sur l'articulation entre les Églises particulières et l'Église universelle. Or, nous vivons dans une Église où les divisions sont multiples. Le sociologue français Jérôme Fourquet appelle ce phénomène « l’archipélisation de l’Église ». Des groupes coexistent, plus ou moins bien, s’affrontent parfois. Il est bon de rappeler à ce sujet la pertinence de la question du Fr. François Bustillo exprimée dans son ouvrage « Le cœur ne se divise pas » (Fayard). Le processus synodal a pour objet de dépasser les conflits par l'expérience de l'écoute.

Ce synode suscite à certains égards des inquiétudes quand ce ne sont pas des résistances. En reconnaissant d’abord que tous les membres du synode sont d'abord issus du peuple de Dieu, qu’ils sont à la jonction des Églises locales, représentants de leur Église particulière et se placent dans la double écoute du peuple de Dieu et de l’Esprit Saint.

Ils sont à la jonction des deux niveaux. La manière collégiale d’une réflexion les porte à réfléchir ensemble et à écouter à la fois l'Esprit Saint et l'ensemble des autres membres pour aboutir à des orientations.

Chaque membre a pénétré un groupe donné avec sa particularité, des orientations propres liées à des expériences singulières. Le discernement ignatien (qualité souvent reprise par la pape) nous place fondamentalement sur l’expérience d'écoute de l'autre et l'écoute de soi-même. Nous révisons ainsi notre propre approche pour  écouter celles des autres. Le P. Théobald appelle cela « l’écoute stéréophonique », favorisant l’écoute de plusieurs voix : celle d'autrui, la voix de sa propre conscience, et la voix de tout le monde, en même temps que la voix de Dieu.

C’est bien cela que manifeste l'évêque de Rome, en tant qu’évêque d’une Église locale particulière il écoute chacun, jusqu’au bout, confiant les aspects de son Église particulière, et romaine. Le Pape est l'homme du lien. Étymologiquement, Pontifex signifie « le constructeur de ponts » ; il fait le lien entre toutes les Églises. Il veille à l'unité. Ce qui est le plus délicat dans cette veille —épiskopè veut dire veille—, c'est d'écouter.

Le Concile Vatican II, déjà, a été décisif grâce aux rencontres qu'ont favorisé ce synode. Quitte à être parfois surpris. Les surprises ne sont-elles pas une caractéristique de l’Esprit Saint ? L'Esprit vient à nous, c’est Jean qui le vit, qui le dit. On ne sait pas d'où il vient, ni où il va. Nous sommes semblables à Abraham quand le Seigneur lui demande de quitter sa terre, sans savoir où il va. Cela suppose une attitude spirituelle fondamentale : accepter que l'on ne sait pas, qu’il nous faut accompagner l'avenir qui advient.

 

Gérard Leroy, le 14 Novembre 2023