pour Maryline Dumont-Lugosi, en hommage affectueux

   Proposons-nous de reprendre la question de l’Évangile de manière quelque peu polémique. Au cours des entretiens qu’il accordait à Gwendoline Jarczyk (1), Claude Geffré estimait « que les difficultés de l’intelligence moderne par rapport à la foi ne tiennent pas simplement à ce qu’est la foi chrétienne en tant qu’elle propose des vérités qui dépassent les capacités de l’intelligence, des vérités surnaturelles », mais bien plutôt à une évolution du « croyable disponible » qui, en modernité, a rendu « les évidences de la raison […] de plus en plus distantes des affirmations de la foi ». 

On voit ressurgir ici la distinction entre la foi chrétienne « en elle-même » et les possibilités que lui offre une culture donnée. Dans son maître ouvrage Le christianisme au risque de l’interprétation, Geffré écrivait déjà : « […] qu’est-ce qui est le plus important dans le christianisme ? Un ensemble de rites, de représentations, de pratiques qui sont les éléments structurants communs à toutes les religions, ou bien la puissance imprévisible de l’Évangile ? » Surgit ici la distinction entre foi et religion qu’avait souligné autrefois le théologien protestant Karl Barth, suivi par un grand nombre de théologiens catholiques. 

Mais voilà qui prête flanc à la critique : « Le christianisme n’est pas et ne peut pas être cette essence cachée, que l’on croit découvrir au-delà du donné objectif : il est identiquement cette forme d’existence concrète, ce style de rapport aux choses et à autrui, ce comportement visible et objectif, cette réalité pleinement historique qui tombent sous le sens et qui sont les seules réalités véritables correspondant à l’idée ou au terme de christianisme ». Ceci laisse supposer que lorsque le croyant est en ceci qu’il est allé à la rencontre d’une réalité prétendument plus profonde, le croyant atteste qu’il est idéaliste et qu’il se meut dans le cercle de l’abstraction.

Mais en est-il bien ainsi ? Se référer à l’Évangile, sans jamais pouvoir traduire celui-ci de manière satisfaisante, est-ce se mouvoir dans le cercle de l’abstraction, ou mettre au jour un pôle critique qui fait bien partie de « cette réalité pleinement historique » qu’est l’expérience chrétienne ? 

Telle semble bien être la conviction de la plupart de ceux et celles qui traitent de ces questions. C’est du moins ce qu’indiquent quelques coups de sonde effectués dans les écrits de Claude Geffré, ainsi que dans les divers colloques organisés sur le thème du choc des cultures.

 

Gérard Leroy, le 29 novembre 2019

(1) Claude Geffré, entretiens avec Gwendoline Jarczyk, Profession théologien, quelle pensée chrétienne pour le XXIe siècle ? Paris, Albin Michel, 1999 (Cerf, 2014)