Introduction historique

À l’origine le terme “laïc” vient du grec "laos" qui veut dire "peuple", le "peuple de Dieu" dans la Septante, le "peuple d'Israël" dans le Nouveau Testament, et plus tard le "peuple chrétien". Depuis les débuts de l'Eglise il y a des personnes qui sont désignées pour la gouverner, qui ont des fonctions ecclésiales. C'est le clergé. Ceux qui n'ont rien de tout cela, mais qui sont baptisés, ce sont les laïcs, membres de cette Église ayant part à la tâche.

Sous la Révolution, une ligne de fracture est ouverte. D’un côté le camp de la Révolution identifié, à tort ou à raison, à la laïcité, aux droits de l’homme et au progrès; de l’autre le camp de la Restauration, du cléricalisme romain, de la résistance aux libertés et à la modernité.

Au début de la IIIe République le catholicisme en France est lié à la droite conservatrice et réactionnaire.

La masse protestante est alors violemment hostile aux catholiques en qui elle voit toujours des persécuteurs. Elle soutient activement le parti républicain, dans l’Ouest ou les Cévennes, et contribue au succès de la gauche aux élections de 1877 et de 1879. La Chambre, républicaine, est alors anticléricale. Jules Grévy est président de la République (1).

On assiste alors au triomphe de deux courants de pensée. D’abord le positivisme, qui s’en tient exclusivement aux résultats expérimentaux de sciences de la nature, qui donne le primat au positif, au réel. Le “comment” supplante le “pourquoi”. Les républicains pensent pouvoir appliquer le positivisme à la politique, et analyser les sociétés et gouverner les nations selon des lois sociologiques analogues aux lois scientifiques, par l’étude des mécanismes sociaux et l’examen scientifique des possibilités d’intervention. L’autre courant de pensée qui triomphe c’est le scientisme. Plus radical que le positivisme, le scientisme prône qu’il n’e peut y avoir de vérité en dehors du champ scientifique. La raison scientifique est la norme, qui explique le monde dans sa totalité. Le scientisme n'admet pas l’irrationnel.

Le protestantisme, l’évolutionnisme, le positivisme, et le naturalisme (la nature détient elle-même sa propre explication) participent à l’idéologie républicaine de la France. Le républicain veut alors se débarrasser des entraves de la monarchie et de la religion. L’homme est doué, selon le républicain, d’une raison capable de découvrir à elle seule la vérité. L’homme doit être son propre maître.

On s’apprête donc à une grande révolution qui arracherait les Français à la servitude où les maintenait les prêtres jusqu’ici. Le parti républicain va tenter d’éliminer ses deux ennemis : l’Église et la monarchie. Pour y parvenir il va s’attaquer à la puissance catholique par une législation qui, tout en maintenant le Concordat qui “faisait des prêtres des fonctionnaires de l’État”, sera dirigée contre les congrégations et enlèvera à l’Église une influence jugée dangereuse dans l’enseignement.


Jules Ferry
, Ministre de l’Éducation sous la présidence de Jules Grévy, dépose, en mars 1879, un projet de réforme sur l’Enseignement supérieur visant les congrégations enseignantes, principalement les jésuites : “Nul n’est admis à diriger un établissement d’enseignement public ou privé, de quelque ordre qu’il soit, ni à donner un enseignement, s’il appartient à une congrégation non autorisée”. Le gouvernement ordonne alors la dissolution de la Compagnie de Jésus, et prescrit aux congrégations non autorisées de demander l’autorisation dans un délai de trois mois.

En 1881, J. Ferry obtient la gratuité et l’obligation de l’enseignement primaire pour les 6 à 13 ans, ainsi que la neutralité de l’enseignement. En 1882 la loi stipule ceci: “Les écoles primaires vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires”. C’est pourquoi les enfants n’allèrent plus à l’école le jeudi.

Le fossé se creuse entre républicains et catholiques. L’assistance devient publique, les emblèmes religieux sont retirés des hôpitaux et des tribunaux, l’aumônerie militaire est supprimée, le repos dominical est abrogé sous prétexte de liberté du travail, les familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République, et le divorce est rétabli (1884). Des épurations ont commencé dans l’armée, la justice, les ambassades. Pour être fonctionnaire il faut être républicain. Bon nombre de catholiques se détournent alors de la fonction publique.

En 1886, une loi interdit l’enseignement primaire à tous les nouveaux congréganistes, et trois ans plus tard, en 1889, la loi supprime la dispense du service militaire accordée jusqu’ici aux séminaristes. L’apaisement des passions se fait cependant sentir à partir de 1893. Mais l’affaire Dreyfus les réveille (2). Les républicains penchent plus à gauche encore, les catholiques dans les rangs qu’ils affectent, c'est-à-dire la monarchie et l’antirépublicanisme.

Sous la Présidence de la République d’Émile Loubet, Waldeck-Rousseau, disciple de Ferry et de Gambetta, Président du Conseil de 1899 à 1902, reprend l’offensive et attaque La Bonne Presse, La Croix, dissout la congrégation des Assomptionnistes, et s’attaque aux autres congrégations au prétexte de rétablir l’unité morale du pays.


Émile Combes
, succède à Waldeck-Rousseau. Sénateur radical, Émile Combes avait été auparavant séminariste, et même professeur au petit séminaire, avant de faire sa médecine. Clémenceau disait de lui que c’était “un vieux curé détourné de ses voies”. Initié dans la franc-maçonnerie il entretiendra durant toute sa carrière une véritable haine anticléricale.

Combes retire le droit d’enseigner à tous les établissements ouverts par les congrégations, soit 125 écoles de filles, puis 3000 écoles ouvertes avant 1901, qui croyaient n’avoir pas à demander l’autorisation prescrite en 1901. Vingt mille religieux sont expulsés. Combes dénie à la Curie romaine le droit de s’adresser à des évêques sans l’autorisation du gouvernement français. L'anticléricalisme parvient ici à son apogée ! Combes aurait voulu substituer au Concordat (3) un texte qui aurait maintenu l’Église sous le contrôle de l’État sans que celui-ci eût à en assumer la charge. La Chambre s’y oppose.

Arrive l’année 1905. Aristide Briand est chargé de rédiger un texte qui tente d’organiser les institutions religieuses dans le cadre d’associations cultuelles auxquelles seraient transférés les biens mobiliers et immobiliers servant au culte. Ce texte constitue la loi de séparation de l’Église et de l’État.“La République, dit ce texte, assure la liberté de conscience, le libre exercice des cultes, ne salarie ni ne subventionne aucun (...) Les biens immobiliers et mobiliers du culte seront transférés aux associations (qui en) assurent l’exercice. (...) Les édifices sont et demeurent propriété de l’État.” Les cultes sont indépendants de l’État. L’Église est sous la dépendance exclusive de Saint-Siège de Rome. Elle perd ses biens. Elle y gagne en liberté. La Séparation, incontestablement, répondait au vœu des Français.

Un catholicisme nouveau, social et populaire, apparaît, sous l’influence de l’ACJF fondée quelques années plus tôt par Albert de Mun. Dans le même temps un courant intégriste s’amplifie, qui s’oppose au modernisme, et se dispose en faveur du maintien des traditions. Ce courant est nourri de l’Action française, et notamment de Charles Maurras, qui prône “un catholicisme sans christianisme”, à la tête de l’Action française.

C’est l'époque où l'Église de France s’appauvrit. Les vocations chutent de 50% de 1904 à 1914.

Au lendemain de la guerre 14-18, la législation sur l’enseignement est mieux tolérée. Qu’est-ce que la laïcité en 1920 ? Telle que la conçoivent ses défenseurs la laïcité n’est plus un cadre juridique destiné à préserver la liberté de conscience, ainsi que l’avait préconisée Aristide Briand, dans un État où coexistent plusieurs familles d’esprit. La laïcité constitue en revanche, vers les années 1920, un système philosophique d’inspiration rationaliste qui professe une morale sans transcendance ni référence à aucun absolu.

Le radical socialiste Edouard Herriot définit son programme laïc. Il refuse de maintenir l’Alsace-Lorraine sous Concordat, refuse de conserver une ambassade au Vatican, refuse encore de tolérer les congrégations, et enfin refuse que se poursuivent la création d’associations diocésaines. Des résistances s’élèvent. Herriot n’est pas suivi par le Parlement. Paul Painlevé, qui succède à Herriot en 1925, abandonne toute mesure anticléricale.

En 1926 s’amorce la réconciliation. On assiste alors à une renaissance intellectuelle, à l’amélioration des relations entre l’Église et l’État, à la création de syndicats chrétiens; l’entente Paris-Rome est rétablie; les organisations syndicales catholiques se préoccupent des questions sociales.

Autour de 1930, la question religieuse quitte le cœur de l’actualité. La droite n’est plus le berceau naturel des catholiques. De nouveaux acteurs entrent en jeu : le fascisme et le communisme. En 1936, Jacques Maritain invite les laïcs chrétiens à s’engager avec des croyants et des non-croyants au sein d’institutions profanes. On constate une production croissante de la philosophie chrétienne, avec Maurice Blondel, Etienne Gilson, Emmanuel Mounier. La doctrine sociale de l’Église dépasse et rejette à la fois le capitalisme libéral et le communisme marxiste. Des militants syndicalistes emboîtent le pas de la philosophie personnaliste en rejetant capitalistes et marxistes. On retouvre parmi eux François Mauriac et Robert Schumann (4).

La question scolaire est un aspect particulier de la querelle de la laïcité, qui a opposé l’Église et l’État pendant de longues années. La notion de laïcité n’est pas une notion isolée, mais liée à d’autres notions d’un système idéologique complexe : la notion de l’État, une conception de la vérité, de sa nature, de son contenu, une philosophie de l’éducation et du développement de l’esprit.

Conclusion

La laïcité est toujours menacée sur ses bords par deux perversions : le laïcisme et le cléricalisme, qui ont en commun de se déterminer par rapport à la religion et à ses clercs. Charles Péguy disait: “on a toujours affaire à deux bandes de curés, les cléricaux et les anticléricaux.

Nous avions affaire en effet, d’une part, à une laïcité agressive, construite sur l’anticléricalisme forcené à la manière d’Émile Combes. D’autre part, à un cléricalisme archaïque, intolérant, voulant imposer la présence des autorités religieuses dans la gestion politique de la société française moderne.

Tels se présentent les acteurs de cette “sempiternelle guerre des deux France

Aujourd’hui on peut dire que la loi de séparation a profité aux deux parties. “L’Église est libre dans un État libre”.

Aujourd’hui, notre constitution affirme l’incompétence de l'État en matière religieuse, et l’incompétence de l'Église dans le domaine de l'État. La laïcité peut donc être comprise, juridiquement, comme le respect par l'État de la culture de la nation considérée dans toutes ses composantes, et le respect par les traditions religieuses du droit établi par l’État.

Les croyants monothéistes de ce continent ne sont ni de passifs voyageurs éphémères d'un temps qui s'écoule, ni des caisses de résonance d'une société qui les véhicule. Ils sont à prendre en compte dans la construction d’une société pluriculturelle, plurireligieuse, qui ne peut ignorer sa composante méditerranéenne et sa composante musulmane. Notre société doit tenir compte non seulement de ses racines judéo-chrétiennes, non seulement des acquis irréversibles de la rationalité moderne comme rationalité critique, mais aussi de l’expérience prophétique des sociétés du Livre qui insistent sur les devoirs et les droits de l’Homme.

Cette coexistence du temporel autonome et du spirituel ne doit pas menacer la fidélité à une parole donnée, fondatrice.

Mais, désormais, les religions doivent abandonner la prétention à exercer une sorte de magistère moral sur les sociétés, comme si les sociétés civiles étaient dépourvues de tout sens éthique. Ceci ne doit pas signifier une marginalisation des croyants. S’ils sont fidèles à leur vocation, les croyants doivent pouvoir témoigner de leurs propres ressources, ainsi que de leur vision de l’homme et de la société. N’ayons pas peur. Le temps est passé où le croyant pouvait imposer sa conviction dans le domaine public. Craignons plutôt qu’on l’empêche de s’exprimer car rien, a priori, ne peut exclure sa part de vérité.

Avec l’aide de l’islam lui-même, considérant les quinze à vingt millions de musulmans Européens, nous avons à faire l’apprentissage, sans craindre d’avoir à s’adapter, de ce qu’est la véritable indépendance du religieux et du politique dans un État moderne comme État démocratique. De nouveaux défis surgissent, certes, que n’a pas épargnés la loi de 1905, l’antisémitisme, l’islamophobie etc. Avec la laïcité telle que la présente Aristide Briand, nous avons à consolider le respect mutuel de l'État responsable et des religions, de leurs identités et de leurs fonctions à ne pas opposer.

Je souscris, pour ma part, à la définition de la Convention européenne des Droits de l'Homme donnant à la laïcité statut juridique garantissant la liberté des consciences de tous les citoyens de façon absolue, face à la contrainte étatique éventuelle. La laïcité, ainsi considérée, implique donc le rejet de tous les sectarismes, le respect des croyances, la reconnaissance d’une société pluriculturelle, pluri-confessionnelle, fondée sur deux impératifs inséparables :
- Que les lois soient respectées par tous;
- Que tous soient admis par la loi.
C’est l’essence même de la démocratie.

La laïcisation est aujourd’hui une conquête de la liberté de conscience, l’affranchissement de la tutelle de l’Église, le ciment de l’unité nationale. Loin d’être le lieu d’un affrontement, la laïcité doit être l’espace pour un dialogue constructif. En cela elle est valeur de la République.

G. LEROY

 

  • 1) Le ministère de Jules Grévy compte 5 ministres
    protestants sur 11 ministres. C’est chez les protestants que se
    recrutent les nouveaux cadres de la République, qui vont donner à
    l’enseignement français cet aspect moralisateur qui le caractérise.

  • 2) L’affaire Dreyfus se rapporte à une affaire d’espionnage au profit
    de l’Allemagne. Une tragique erreur judiciaire du tribunal militaire a
    fait envoyer le Capitaine Dreyfus au bagne. Certains réclament la
    réouverture du procès, ce sont en majorité les protestants; les
    catholiques s’y opposent. Aux yeux de la droite, défendre Dreyfus c’est
    attaquer l’armée et trahir la Défense nationale.
    Alfred Dreyfus, grâcié en 1899 sera réhabilité en 1906.

  • 3) Un concordat avait été signé en 1801 par Bonaparte et Pie VII. Il
    reconnaît que la religion catholique est majoritaire en France et donne
    au Chef de l’État le droit de nommer les évêques auxquels le pape
    accorde ensuite l’institution canonique.
    En 1871, l’Alsace-Lorraine (Bas & Haut Rhin, Moselle) est enlevée par l’Allemagne à la France, récupérée en 1919.
  • 4) Ce regain de réflexion philosophique est aiguillonné par E. Mounier, directeur-fondateur de la revue “Esprit” qui réunit catholiques, protestants et incroyants. Mounier s’attelle à une tâche ambitieuse. Il refuse de lier Esprit
    à un parti, mais veut en faire une invite permanente à lutter contre
    toutes les formes d’oppression qui portent atteinte à la personne, et à
    rappeler les exigences de l’esprit dans les âpres combats politiques.