Pour Françoise Perrin, avec mon affection

   Épicure (341-270), le fondateur d’un école qui prendra le nom célèbre de “Jardin” en raison du terrain qu’il avait acquis pour la créer, cultivait une approche de l’âme qui ne la voyait pas autrement que comme matérielle. Une chose en quelque sorte. L’âme, pour les Épicuriens, est un principe entièrement matériel et mortel. Voilà qui le situe, sur ce sujet, à l’opposé d’un Platon qui donnant à l’âme d’être quasi divine, pouvait justifier son immortalité.

 

L’âme, matérielle pour Épicure, est sensible. L’âme sent. Et quand l’organisme tout entier se délabre et se dissout, l’âme, elle aussi, se dissipe. Parce que corporelle et donc matérielle, l’âme est sujette à la maladie, et bien sûr à la guérison, mais aussi à l’agonie et à la dissolution.

 

L’âme étant matérielle, d’une nature identique au corps, l’âme meurt donc avec lui. 

 

Les épicuriens se délestent alors d’une crainte, celle de la finitude, qui ne se justifie pas, expliquant que la mort n’est rien. C’est en effet une erreur qui risque de gâcher la vie et, à tout le moins, de troubler notre quiétude. 

 

Il nous faut comprendre, si complexe soit-elle, l’argumentation des épicuriens, désireux de rejeter le concept de mort tel qu’il est cultivé par la sensibilité culturelle de l’époque, afin d’amorcer par la raison une sagesse qui conduit à la sérénité.

 

Si la mort met fin à tout, au moment même où elle advient, qu’importe le futur ? Il se fera sans nous ! L’âme peut bien se désagréger en même temps que le corps s’abime dans la corruption, rien ne peut plus nous atteindre. C’est une illusion que d’animer, en pensée, le cadavre que nous allons devenir. C’est une illusion que de lui attribuer une conscience qui se morfondrait devant ce qui lui arrive. Il n’y aura pas, dans la mort, un autre soi-même. Un soi qui gémirait de sa propre perte, de son anéantissement, puisque le soi est anéanti, c’est-à-dire réduit à rien ! En fait la mort est l’état de l’être qui ne peut plus rien éprouver.

Alors, dit Épicure pour conclure, tant que nous sommes la mort n’est rien. Puisque nous sommes vivants la mort ne nous atteint pas, en raison même de ce que nous sommes vivants. En revanche, quand la mort est là, nous ne sommes plus, et ne nous ne pouvons avoir conscience de cet état en raison même de ce que nous ne sommes plus. Morts, nous ne saurions l’éprouver.

 

Telle est la sagesse à laquelle cherchaient à parvenir les épicuriens, qui ouvre à l’ataraxie, à l’absence totale d’inquiétude, “c’est là la perfection même de la vie heureuse”, écrit Épicure dans sa Lettre à Ménécée (1).

 

Répudiant toute notion de l’au-delà, ce courant philosophique est promis à une belle carrière. La Renaissance, de même que les philosophes des Lumières, reprendront Épicure et Lucrèce le Romain. Le jeune Marx ne manquera pas de citer et saluer Épicure et de louer Lucrèce dans sa thèse de doctorat. L’épicurisme, salué par d’innombrables penseurs, aura comblé des milliers de gens en quête de cette ataraxie si recherchée par ce sage de la Grèce antique.

 

Gérard LEROY, le 9 janvier 2014

  1. in Doctrines et maximes, Hermann