Pour Camille Tchéro, en hommage amical

   Partant de ce que les images ni les concepts ne suffisent à traduire la réalité, le mysticisme est un procédé qui tente de rejoindre la vérité que le scientisme voudrait trouver dans les seuls résultats expérimentaux des sciences de la nature. Le mysticisme se présente donc avant tout comme une expérience, basée sur l’effacement de la raison au profit du sentiment et de l’imagination. Pour les mystiques il faut aller au-delà des choses sensibles, abandonner les interprétations intellectuelles.

Cette expérience est décrite comme la rencontre personnelle, intime, de l’individu avec le « domaine » surnaturel, pour le dire autrement : avec l’infini divin, dans la perpective de s’approprier un Dieu personnel. La puissance de la faculté contemplative des mystiques les amène à penser qu’ils sont aptes à pénétrer dans le vrai dans sa pureté. Les mystiques ont la conviction d’avoir plus de connaissance et de lumières que d’autres. Ils s’excluent de l’organisation temporelle et de l’institution religieuse pour mieux affirmer un désir que Dieu seul peut satisfaire. D’où la déduction que les moments de crise, économique ou culturelle, favorables à l’individualisme, sont des moments de prédilection.

Peut-on donner une interprétation scientifique à cette expérience ? C’est la première approche à entreprendre. Dans la mesure ou la mystique suppose une contemplation, celle-ci manifeste une plongée de l’âme dans les profondeurs de ce qui l’a engendrée. Nous voilà donc devant la nécessité de  précéder l’expérience d’une reconnaissance, laquelle s’inscrit dans une réflexion métaphysique qui s’appuie sur la logique de causalité. Mais l’expérience mystique comme telle ne garantit rien, en tout cas pas la vérité, même si l’on rapporte la contemplation à un don (« venu du Ciel »!). Les doctrines amenées à exposer leur interprétation de cette expérience risquent d’aller vers le panthéisme.

Pour les chrétiens le mysticisme traduit l’expérience de la transcendance dans la vie quotidienne. Le risque est de récuser la médiation du Fils de Dieu fait homme. Le chrétien doit tenir à l’union mystique comme vision bienheureuse de Dieu, obtenue par la médiation du fait de la venue historique de Dieu parmi les hommes, dans son Fils qui a pris la nature humaine, qui a rassemblé des foules, qui a été soupçonné d'instigation à l’émeute, qui a été accusé de trahison, d’hérésie par les docteurs de la loi juive, qui a été condamné à la crucifixion, et à propos duquel des témoins ont rapporté l’événement invraisemblable de sa résurrection.

Il reste que l’expérience mystique chrétienne ne doit pas se réfugier dans une négation du monde. Elle doit assumer le monde et signifier, dans ce monde, cette expérience personnelle d’amour avec le Christ qui est à l’image du Père, qui est enfin médiateur qui communique dans l’Esprit Saint la vie trinitaire de Dieu.

Si l’on veut bien reprendre la formule de Paul « in Christo », cette expression est basée sur l’expérience de l’union de sa propre personne avec le Christ, expérience donnée par grâce et assumée.

Expérience. C’est une expérience. Personnelle. Mais qui côtoie le risque du panthéisme, et qui, par conséquent, peut prendre des distances avec la foi chrétienne.  

 

gerard LEROY, le 25 septembre 2018