Pour Ghaleb, avec mon indéfectible amitié,

   On ne peut rendre compte de la foi au Christ sans s’être préoccupé de la rendre pensable, voire crédible, face au défi de la modernité. Il s’agit de penser la foi dans la vérité dans un monde où la foi ne va plus, comme autrefois, de soi.

En Jésus-Christ, surgit le concept de la nouveauté de Dieu, par delà toute approche métaphysique et absolutiste. En faisant irruption dans le monde le Dieu transcendant vient vers nous étant un Dieu pour nous au point que ce « pour nous » est, ontologiquement, son être « en soi ». Ce « pour nous » est l'être de Dieu, « il est sa destination éternelle vers nous, et nous prédestine à trouver place en lui. » (1) La nouveauté de Dieu c’est sa gratuité, au même titre que son humanité.

Reposons-nous la question de ce que Dieu peut être en soi, gardant en mémoire la précaution de Thomas d’Aquin devant l'impossibilité de dire ce que Dieu est en soi. Toute tentative de l’exprimer reste vaine devant la suréminence inobjectivable (2).

On peut cependant reconnaître que ce Dieu « pour nous » renvoie à cette relation trinitaire que le P. Joseph Moingt qualifie d’économique, en ce qu’elle définit l’organisation des relations entre les personnes. La Trinité immanente, qui est la vie à la fois de communion et de communication entre le Père et le Fils dans l’Esprit-Saint, est économique. En conséquence, dire que Dieu est amour, c'est définir son être comme acte d'exister en corrélation entre un autre et un autre dans l'identité infinie et mystérieuse du même, qui signifie « la relation d'amour entre un aimant et un aimé qui se réfléchit en ressource débordante d'amour. »(3)

Cette « nouveauté de Dieu », reconnaissons-le, interpelle. On est plus familiarisé avec des expressions de Dieu plus métaphysiques que la tradition de l'Église et de la théologie classique nous ont transmises. Ainsi, pour la théologie classique, la souffrance étant un manque, soit une imperfection incompatible avec la perfection de Dieu, approche qui a permis à Descartes de justifier ontologiquement son existence. Cependant, la méditation de l'Évangile change la donne : la résurrection manifeste la solidarité de Dieu avec Jésus souffrant, et de surcroît sa présence avec lui sur la croix.

La théologie ancienne parle de la « préexistence » du Christ pour dire qu'il existe de toute éternité, en tant que Fils de Dieu, car le commencement de la personne de Jésus, qui est le Christ, s'origine en Dieu. C'est un concept clé dans la théologie des Pères apostoliques. La division de l'existence du Christ en deux parties irréconciliables révèle un contresens : l'une divine et éternelle, sans lien avec le Jésus de l'Histoire ; l'autre humaine et temporelle et, de ce fait, apparaissant comme quelque peu accidentelle, au sens thomiste où l’accident n’existe pas en soi mais en un autre qui en est le sujet. Plutôt que de « pré-existence », il est préférable de parler de « précédence » du Christ (« Avant qu’Abraham fut, je suis », Jn 8, 58).

De sorte que Dieu « pour nous » l'est depuis toujours. Le lien entre lui-même et sa création, s'origine dans le lien du Verbe éternel de Dieu avec la chair de Jésus. De ceci résulte qu’il existe éternellement, « dans une double relation à Dieu et à la chair de Jésus ; à Dieu, explique J. Moingt, en qui il puise une existence éternelle avec la vie, la grâce et la vérité qu'il a à communiquer aux hommes en participation de son être propre ; à la chair de Jésus, poursuit-il, dont il dirige la généalogie par son activité et ses manifestations dans l'Histoire, et qu'il assume enfin comme l'être-là accompli du devenir homme qui lui était assigné depuis son origine en Dieu. » Ce qui signifie que l’unique engendré venu du Père, est reconnu propre et unique Fils de Dieu depuis toujours et dans la totalité de son devenir homme, non en faisant abstraction de ce devenir homme, ni de la protohistoire du Christ, ni de l'humanité de Jésus.

La Trinité se déploie donc dans « la chair du monde » (i.e. son histoire), afin de révéler les relations (4) entre Dieu comme Père de Jésus, Jésus en tant que Fils de Dieu et l'Esprit qui est l’amour mutuel de l'un pour l’autre (5).

 

Gérard Leroy, le 30 décembre 2020

(1) « Comme toi ,Père, tu es en moi, et moi en toi, fais qu’ils soient, eux aussi, un en nous » (Jn 17, 21). cf. J. Moingt, Croire au Dieu qui vient. I. De la croyance à la foi critique, p. 466.

(2) Th. d’Aquin, dans la Prima pars, distingue l'Être (« Esse » ) de Dieu (q 2 art 1 & 2) du « comment il est » (« Essentia » ), (q 3 à 11). Les noms signifient la substance divine et sont attribués à Dieu substantiellement mais ils défaillent quant à ce qu'ils expriment. La visée dépasse l’expression » , cf. Thomas d'Aquin, Summ Théol., Ia, q 13, art. 2.

(3)  J. Moingt, op. cit., p. 469

(4) cf. Joseph Ratzinger : « la relation est une forme originelle de l’être au même titre que la substance ».

(5) cf. J. Moingt, Dieu qui vient à l'homme. De l'apparition à la naissance de Dieu. I. Apparition, p. 9.