Nous vous invitons à un retour en arrière de mille ans ! À cette époque l'Occident souffre des invasions répétées des Normands, qui ravagent, qui détruisent tout sur leur passage. L'Europe est un "champ clos où s'affrontent les intérêts familiaux." (1) Des papes, princes italiens sans envergure, corrompus et impuissants, se succèdent jusqu'au milieu du Xe siècle, c'est-à-dire jusqu'à l'avènement du Saint Empire romain germanique donnant un support à la papauté.

 

 

En Allemagne, comme en France,  l’autorité royale carolingienne se transmet progressivement  aux fonctionnaires laïques. L’empereur germanique Othon, couronné en 952, est alors une figure aussi légendaire que l’a été Charlemagne un siècle et demi plus tôt. Othon s’oppose à cette féodalité laïque en développant une autre féodalité, ecclésiastique celle-là. Il investit en effet les évêques de pouvoirs de commandement, ne manquant pas de placer les membres proches de sa famille aux postes les plus hauts. Othon règne sur les évêques.

 

 

À l’approche de l’An Mil, le Saint Empire romain germanique arbitre des conflits hors de ses frontières, et domine le complexe politique de l’Europe.

 

 

Deux personnages ont le pouvoir : le roi et le pape. Mais le pape n’est malgré lui qu’un second du roi quand bien même le sacre pontifical fait l’empereur. Car le roi tient le pape dans sa main, se donnant des privilèges et des droits que le Saint Siège n’a pas le pouvoir de contester.

 

 

Othon peuple sa cour de clercs. Et quand il meurt, en 973, les clercs bénéficient d’une influence prépondérante sur les princes faibles.

 

 

En 995, l’arrivée d’Othon III au pouvoir met un terme à la décadence de la papauté. Le roi s’entoure d’amis pieux, tel Adalbert, l’apôtre des Tchèques, qui sera béatifié comme Romuald, un ermite de Ravenne. Othon III, qui nourrit une aspiration à la perfection monastique, rêve d’un Empire universel, conçu comme un ordre chrétien, où tous les pays de l’Empire s’organiseraient de façon identique et autonome, émancipés par rapport au royaume germanique, se donnant Rome pour capitale. C’est dans cette perspective qu’Othon III, profitant de ses privilèges transmis par ses prédécesseurs —on parlera de “césaropapisme othonien”—, désigne un pape qui partage sa visée. En retour Grégoire V couronne Othon III empereur.

 

 

Othon III lui-même pourvoit au remplacement du pape Grégoire, mort en 999, requérant un certain Gerbert, qui se trouve à Ravenne, au nord et sur les bords de l’Adriatique.

 

 

Faisons un pas en arrière, pour mieux connaître Gerbert dont l’ascension n’est pas commune et ne le doit en rien à quelque privilège d’argent imaginable en ce temps. Gerbert est né en Aquitaine. Il consacre sa jeunesse à l’étude. Passionné de logique, de mathématiques, latiniste, Gerbert sait à peu près tout ce qu’on peut savoir en ce temps. Curieux de la civilisation arabe, il se rend au contact des Infidèles, en Catalogne. Il séjourne à Rome, puis à Reims où cet écolâtre (2)  érudit attire des élèves de toutes parts, et devient conseiller politique de l’évêque de Reims très engagé en faveur de la dynastie othonienne. Gerbert est d’une loyauté indéfectible envers les intérêts de la monarchie germanique.

 

 

Lothaire, roi de France depuis 952, supporte difficilement la tutelle germanique. Aussi, à la mort d’Othon I, en 973, Lothaire s’empresse-t-il de s’allier avec les lorrains révoltés. Gerbert, fidèle serviteur des Othon, conspire alors avec l’archevêque de Reims, Adalbéron, contre Lothaire.

 

 

Lothaire meurt en 986. Son fils, Louis V, dit “Le Fainéant”, convoque une assemblée des Francs pour juger Adalbéron. La veille même de cette réunion un accident mortel de cheval met fin à son règne d’une exceptionnelle brieveté. Préoccupés par la succession, les Francs rassemblés mettent fin à la lignée des carolingiens en élisant Hugues Capet, à Senlis, en 987. En 989 Adalbéron meurt à son tour. Gerbert brigue alors la succession au siège de Reims, qui lui revient en 991, ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Les tracas que lui font les jaloux amènent Gerbert à se réfugier à la cour d’Othon III. Pendant 6 mois qu’il y réside, Gerbert charme la cour par son savoir, rédige  Le livre du rationnel et de l’usage de la raison pour son souverain hôte dont il est le conseiller personnel.

 

En 997 Gerbert se voit attribué l’archevêché de Ravenne. Deux ans plus tard, en 999, à la mort de Grégoire V, Gerbert est appelé au souverain pontificat. Il  prend le nom de Sylvestre II.

 

Othon III, rejoint alors son “maître” et ami à Rome. À la faveur d’une réorganisation de son administration. Rome retrouve désormais le rang de capitale de la chrétienté.

 

 

G.L.

 

  • (1) Jean Chelini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Armand Colin, Coll. U, p. 178.
  • (2) l'écôlatre, au Moyen Age, est clerc dirigeant une école placée sous une tutelle épiscopale ou abbatiale.