Pour Xavier Larère, en hommage amical

   Les étudiants de l’année 1970-71 de cette nouvelle faculté de théologie ouverte aux laïcs à l’Institut Catholique de Paris, se souviennent de l’enseignement de christologie du Père jésuite Joseph Moingt. Il avait une façon bien à lui de décortiquer chaque verset, chaque mot du texte, pour en restituer toute la densité significative.

Entré dans la Compagnie de Jésus à 23 ans, en 1938, Joseph Moingt est mobilisé puis fait prisonnier et passera le temps de la guerre en Pologne. Dès sa libération, il termine son noviciat à Laval et reçoit son ordination en 1949. Ses études l’amèneront à rédiger une thèse sous la direction du Père jésuite Jean Daniélou, sur la Théologie trinitaire selon Tertullien. Par la suite, le P. Moingt approfondira sa connaissance des Pères de l’Église, qu’il enseignera au scolasticat jésuite de Chantilly puis au Centre Sèvres.

Quand, en 1980, J. Moingt a pris sa retraite tous les étudiants s’étonnaient en le voyant enfourcher son vélo, qui semblait aussi vieux que lui et qu’il n’abandonnera qu’autour de ses 90 ans !  Le P. Moingt faisait partie du paysage de la catho.

Il allait fêter ses 104 ans en novembre prochain.

Le P. Joseph Moingt laisse le souvenir d’un homme toujours vif et plein d’humour, attentif aux options réductrices proposant un retour au passé. Aussi on retient encore de lui la lucidité avec laquelle il abordait la crise du christianisme aujourd’hui. Il se retrouvait en phase avec les conclusions du travail que vient de rendre public un groupe de chrétiens réunis autour du dominicain Hervé Legrand, mettant le doigt sur les errements de l’église, et, à l’invitation du pape François, invitent à s’unir à son souhait de transformer l’Église catholique en vue d’une fidélité plus engagée au souffle de l’Esprit et d’un témoignage de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui.

Le P. Joseph Moingt a consacré toute sa vie à l’intelligence de la foi chrétienne avec une totale liberté et une immense culture. Très tôt il s’est penché sur chacun des articles du credo que trop de chrétiens proclament sans penser à la densité des mots qu’ils récitent. Il a remis en question chacun des dogmes, non pour les balayer d’un revers de main comme le feraient d’imprudents péremptoires, mais pour les signifier, dégager l’épistémologie de ce qui constitue le discours central de la foi. Le P. Moingt était attaché à faire comprendre que le christianisme ne peut être amputé de la faculté du jugement.

Dans son Dieu qui vient à l’homme, l’une de ses œuvres maîtresses publiée au Cerf en deux tomes, J. Moingt cherche quelle identité de Dieu se donne à découvrir dans l’histoire de Jésus de Nazareth. La foi est-elle assez assurée d’elle-même pour récuser la raison dans sa remise en question ? Et comment la pensée contemporaine a-t-elle pu rejeter la Bonne Nouvelle véhiculée par la tradition chrétienne ? Dans Croire en Dieu, en 2 tomes, chez Gallimard, publiés en 2014 et 2016, J. Moingt tente de dire l’humanité du Christ, né d’une vierge, comme d’expliquer la Trinité, bref repenser chacune des formulations du credo, en vue d’accompagner les chrétiens dans leur formation. J. Moingt ne se focalise pas sur l’institution ecclésiale. La réforme, urgente, du catholicisme, exige de revenir à l’Evangile. Et la manière choisie par J. Moingt est de le faire dans le langage d’aujourd’hui, en continuité avec la tradition apostolique.

Dans son ouvrage L'Évangile sauvera l’Église, Paris, Salvator, coll. « Forum », 2013, le P. Moingt montre que l’Église n’a d’avenir que dans l’Évangile. Il rejoint en cela le dernier ouvrage du dominicain Claude Geffré, Le christianisme comme religion de l'Évangile, aux éditions du Cerf.

Le P. Moingt est de ceux qui auront laissé leur trace dans l’histoire de la pensée chrétienne.

 

 

Gérard Leroy, le 21 août 2020