Pour Sophie Guerlin, en hommage amical

   La liberté d’expression n’a t-elle pas accédé au rang de dogme ? Tout lui semble subordonné, au point qu’on ne se pose même plus la question éthique d’une information qui risque de gêner l’instruction judiciaire. Au nom de la liberté d’expression tout doit-il être permis et tout ce qui l’entrave doit-il être honni, rejeté, coupable...

Non content de cette immunité les tenants de la liberté d’expression invoquent la tolérance. La tolérance, on la plaque comme une vertu aux actes et aux gens. Pourtant, la tolérance a ses limites. Tolère-t-on un système meurtrier, une passion aveugle ? Tolère-t-on la haine ? Tolère-t-on l’injustice, le déni de l’humain ? La tolérance est une vertu, certes, si elle ouvre à l’autre. En revanche c’est une contrainte quand elle traduit la dépendance et étend le champ de liberté d’autrui aux dépends de notre propre liberté. On voudrait se dire tolérant alors qu’on est tout simplement faible en acceptant sans bouger le boucan produit par les fêtards voisins qui vous empêchent de dormir.

Des dessinateurs de Charlie Hebdo ont payé de leur vie une expression perçue comme offensante, au-delà du tolérable. Au cours de la même période une dizaine de chrétiens du Niger a subi le même sort, et 46 églises ont été saccagées. Tout cela parce que les chrétiens sont de la même ethnie que les dessinateurs de Charlie. Aussi, la peur au ventre, adoptent-ils le profil bas là où ils sont minoritaires.

Question : la liberté d’expression ne s’exonère-t-elle pas des limites qu’impose le devoir de responsabilité ?

La responsabilité, qu’est-ce que c’est ? Un devoir et une contrainte.

C’est le devoir de réparer un dommage causé, “par action ou par omission”, ou par délégation, ce qui n’est pas simple. Et c’est l’obligation, dans le droit pénal, de subir la peine codifiée en regard des conséquences de nos actes dont nous avons toujours à rendre compte. Ceux auxquels nous avons à rendre compte sont ceux-là mêmes qui sont habilités à nous charger comme à nous décharger de notre responsabilité. 

C’est la relation à l’autre qui nous constitue responsable, avant toute initiative personnelle. La responsabilité n’est pas conséquente de notre liberté, mais principe, exigeant et juge.

Chaque homme est assigné à responsabilité envers autrui. C’est la solidarité qui investit autrui qui nous destine à son service. C’est comme ça. Depuis toujours chacun est frère de l’autre. L’exercice de la responsabilité s’inscrit dans la solidarité. 

La première forme de responsabilité est de s’interroger sur la perception de nos gestes et de nos paroles. De cette perception découlera la réaction. La deuxième forme de responsabilité consiste à s’interroger sur l’utilité de ces mêmes actes. Satisferont-ils ? Apporteront-ils une amélioration ? etc. Ou bien n’agit-on que pour se satisfaire soi-même ? Bien des insultes envoyées à la ronde par dessus la portière n’ont d’objectif que de se défouler.

Être responsable c’est tenir compte de l’autre, de tout autre. La liberté d’expression n’est pas liberté d’agression.

L’émotion du 7 janvier atténuée, réactivée le 13 novembre de l’année 2015, le traitement des vrais problèmes s’impose : comment enrayer la spirale de la violence ? Qui doit assurer le rôle éducatif ? Veut-on conformer la politique de la ville au slogan du “vivre-ensemble” ?

Faute de traiter les causes des maux qui nous rongent on ne pourra que s’épuiser à panser les effets. Multipliera-t-on les effectifs des services de renseignements déjà dépassés par les violences tous azimuts ? Rendra-t-on plus sévère la filtration des frontières du poreux espace Schengen ? Ou renforcera-t-on la vigilance des gardiens de prisons jusqu’ici impuissants devant la radicalisation des détenus ?

 

Gérard LEROY, le 21 avril 2016