Jean Lavoué est un penseur laïque dans le sillage de Marcel Légaut (voir " Un homme de foi et son Église") et de Jean Sullivan

Thème: le sel de la parole évangélique, porté par une institution soucieuse d'abord de consolider ses bases, s'est affadi. Grâce à des groupes de croyants n'ayant pas peur de la liberté, ouverts à la modernité, aux spiritualités orientales, à l'action sociale et politique,  ce sel pourrait retrouver la saveur perdue. Et donc s'inscrire dans la ligne du pape François (élu postérieurement la sortie du livre) qui a nommé Légaut parmi les auteurs français qui l'ont marqué.  Peut-être François faisait-il partie de ces prêtres qui ressentirent un immense soulagement en découvrant ce que Légaut, usant sans crainte de sa liberté de laïque, osait exprimer tout haut sur le rapport de l'Église à l'Évangile.  

[Pour les différencier de la présentation de ce livre de Jean Lavoué, les commentaires personnels de l'auteur du présent travail sont en italiques]

La vraie guérison du lépreux

Texte étonnant où l'on voit Jésus passer de la pitié, de l'émotion jusqu'aux entrailles, à un congédiement peu amène du lépreux guéri, s'irritant, le rudoyant et le chassant. Mais n'est-ce pas pour souligner que la vraie guérison, c'est  la fin de sa soumission à la loi aveugle qui l'oppresse? L'homme est laissé à sa liberté par un Jésus qui semble dire " Fie-toi au Souffle saint qui est passé par mes mains plutôt qu'au message de prudence que je suis obligé de te donner".

Comment l'Église peut-elle cheminer avec l'homme Jésus en restant campée dans

ce temple d'où il n'a  eu cesse de sortir, en continuant à renvoyer tant de femmes et d'hommes dans la désespérance et la culpabilité sans retour, en désignant la paille dans l'œil de chaque humain faillible plutôt que de regarder la poutre qui entrave son regard sur le monde ?

Il se lève un nouveau peuple de pauvres, de petits croyants de la nuit, lassés des certitudes qu'on leur assène; ils s'engouffrent dans l'écoute de cette foi nue dont témoignait le Christ avec ses paroles dérangeantes, crucifiantes, en quête d'un amour caché dans le sacrement du frère. 

C'est vrai que l'Évangile, avec sa profusion de paroles dérangeantes, provocantes, scandaleuses, que l'enseignement officiel de l'Église contourne le plus souvent, avec peut-être mauvaise conscience, n'est pas l'idéal pour une institution quelque peu sclérosée.

La mise en œuvre de Vatican II a largement éludé le dialogue avec la modernité alors que le monde basculait dans la postmodernité. Si celle-ci a  porté au pinacle un individualisme qui a certes une face obscure, égoïste, elle a permis l'émergence d'une conscience de soi incitant chacun à  une responsabilité et une lucidités accrues. Et le pluralisme est le pendant de cette liberté de conscience, vite oubliée après les belles  paroles du concile. Cette liberté qui nous fait comprendre et admettre l'interdépendance de toutes choses tout en ayant l'assurance de porter une parole irréductible, mais avec laquelle chacune des cultures du monde peut se découvrir accordée.

Il faut donc que l'Église accepte de distinguer au sein du message chrétien les éléments fondamentaux et  les éléments contingents, liés à la culture occidentale à laquelle il s’est trouvé historiquement associé. Et, comme le souligne audacieusement Claude Geffré, une Parole de Dieu qui n’est plus contemporaine n’est déjà plus La Parole de Dieu. Toute la question est alors de savoir si c’est l’Évangile, lui-même qui est refusé par certains, ou bien le scandale d’un véhicule culturel complètement étranger aux hommes d’aujourd’hui.

Croire que si Jésus avait parcouru aussi l'Asie et l'Amérique, il aurait employé exactement les mêmes termes, recouru aux mêmes paraboles ou comparaisons (Ce vin est mon sang….) serait l'assimiler à un scribe du Bas-empire romain.

Le relativisme est-il vraiment cette abomination dénoncée par Benoît XVI, comme si on avait massacré en son nom encore plus qu'au nom de la foi? Et là, la liste est longue. N'est-il pas plutôt une expérience à laquelle le christianisme nous convie. Délibérément.

Aucune signification ultime ne saurait clore un texte, une fois pour toutes, un seul pour toutes les cultures. Les institutions qui regardent en arrière risquent d'être changées en statues de sel….car la transcendance ne réside pas dans la forme instituée qui veut se conserver, mais dans la force instituante qui ne cesse de la bousculer.

L'exode est notre vocation, avec toutes ses figures de la mère fécondatrice. Mais, à la fin des années 60, l'Église s'est cabrée devant la rencontre avec un féminin qui la sollicitait de toutes parts: régulation des naissances, relativisation de la loi du célibat clérical, place dans la liturgie et la pastorale. Elle a préféré les fausses sécurités et ….les oignons d'Égypte.

Beaucoup d'incroyants et de mal croyants refusent en fait non la foi, mais les caricatures qu'on en fait: certitudes assénées, dogmatisme refusant toute discussion, emprise autoritaire sur les personnes. L'Évangile sera pour eux une voie royale vers la liberté, si on le dégage de toute captation dans le champ du pouvoir et du savoir, qui rendent irrecevable le message de Jésus.

Nul ne doit s'emparer de la mort et de la résurrection du Christ pour exercer la moindre emprise sur autrui.

Problème de communication: pour ''équilibrer'' le visage de l'Église, pourquoi n'avoir pas utilisé le formidable fourmillement des humbles, des obscurs, des sans-grades, innombrables, ceux-là même qui atténuent les souffrances de nos contemporains, comme le Christ le faisait ?

Xavier Larère, le 21 août 2014