Pour Bertrand, Marie, Bruno, Edwige, Andrée, Philipe, Louis et Jackie

   …et vigilante. Vigilante sur l’observation que vous ferez du monde auquel nous nous mêlons, sur ce monde moderne, marqué par le positivisme, le nihilisme, la « dictature du relativisme » (Benoît XVI), mais encore par toutes sortes de mutations aussi brutales que récentes pour lesquelles nous ne sommes pas préparés, à savoir la mutation numérique, avec l’émergence d’Internet qui impose d’être connecté, et qui a surgi en l’absence de toute réflexion éthique préalable ; par les mutations géopolitiques, la toute-puissance de l’économie, la désertification et la déforestation, la révolution génétique, le transhumanisme…

Permettez que je vous livre en cette rentrée une intuition personnelle, influencée par le théologien suisse von Balthasar d’une part, qui aimait à souligner que la théologie n’a de sens que si elle est en contact avec les hommes, avec la vie, avec l’histoire. Je puise encore dans la pensée de mon ami Claude Geffré qui, lui, soulignait que toute théologie fondamentale rassemble une herméneutique de la Parole de Dieu et de l’existence humaine. Reconnaissons donc la théologie comme une science qui cherche à déchiffrer le sens des énoncés de la foi en fonction de l’expérience historique et culturelle de l’homme d’aujourd’hui. 

Ceci m’invite à interroger les récits bibliques pour les passer au crible de la critique textuelle, herméneutique, permettant d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique. En passant par la démythologisation des mythes bibliques on en vient à découvrir que la signification de la vérité reste impossible à dire d’un simple point de vue scientifique ou philosophique, et plus encore une vérité impossible à transmettre « sans le secours, le détour du symbole et du mythe » disait Paul Ricœur. Le mythe est donc nécessaire. Et la démythologisation de même, pour la purification de la foi, ramenée à son noyau essentiel, par la dure ascèse des conclusions du savoir scientifique.

Deux extraits de l’Écriture nous aident à comprendre l’aujourd’hui : Babel (Gn 11) et la parabole des talents

Babel, qu’est-ce que c’est ? Un projet démesuré de construire une tour, gigantesque pour qu’on la vit de loin. Le créateur regardant ce grand-œuvre craignit que les hommes s’abîment dans l’orgueil. Il vit alors que leur vanité s’excitait à mesure que la tour s’élevait. Il n’avait pas crée les hommes pour cela. Les vaniteux sont incapables d’aimer. Il décida de mettre fin à ce projet insensé. Les langues furent brouillées, les ordres incompris, les malentendus se multiplièrent, des querelles éclatèrent. Les ouvriers abandonnèrent alors leur ouvrage et se dispersèrent. 

N’apercevez-vous pas en tête de ces bâtisseurs les D. Trump, J. Bolsonaro, M. Salvini, « cette espèce de Mussolini de bazar » pour le dire comme Bruno Frappat (La Croix du 31 août 2019), ce populiste-égoïste qui cultive sa haine pour l’étranger ou le pauvre type venu d’Afrique à la nage et que l’Europe ignore. Il en va de même de tous ces roitelets casseurs de la planète qu’on s’entête à désigner de « grands de ce monde », ces prométhéens d’aujourd’hui, soutenus par des populistes, nationalistes, révisionnistes, illusionnistes qui veulent nous berner comme des moutons ? Et ces gens-là ne se retirent pas sans que surgissent leurs disciples. Regardez Daesch. Entendez les Russes qui réclameraient bien le retour de Staline !

On est, aujourd’hui plus qu’hier, confrontés à ces promoteurs de Tours qui s’appuient sur le mal qu’ils font pour consolider leur pouvoir, comme avec ce malotru Boris Johnson qui se comporte comme Caligula qui aimait à répéter ce vers de tragédie : « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! » Cet « histrion d’Outre-Manche » comme le désigne encore B. Frappat (La Croix), prétend que nous, Français, sommes des idiots, tandis que nous le trouvons toxique, mais par je-ne-sais quel syndrome de Stockholm nous nous empressons d’ajouter que ce sophiste est « très intelligent » ! Pardi. Il lui manque cependant cette intelligence de penser que là où il est il se doit d’être au monde et non hors du monde… 

Le danger vient de ce que notre imaginaire se détourne aujourd’hui de la réalité pour se développer dans toute la « twittosphère » qui nous assène de représentations érigées en vérités, sur lesquelles on rafistole des systèmes sans fondement habillés d’une couverture intellectuelle péremptoire et trompeuse.

Voilà que, de surcroît, Poutine vient donner des leçons de maintien de l’ordre à notre Président ! Nous serions bien ingrats, envers nous-mêmes d’abord, de ne pas reconnaître le goût pour la réflexion de ce Président-là, ses analyses, et l’audace d’imposer à ses petits Camarades la visite du Président Rohani pour apaiser la tension entre les US et l’Iran et le monde.

Car c’est le monde entier, soudain, qui va mal. Dieu nous aide à éparpiller les maçons de Babel, dissoudre les forces et les tendances mortifères de nos sociétés. Indignons-nous, comme s’est indignée Greta Thunberg le 23 juillet à l’Assemblée nationale, que deux députés imbéciles récusaient avec arrogance en disant « Nous n’avons pas besoin de gourous apocalyptiques », « Non à l’infantilisation obscurantiste ». 

Il nous faut donner un peu de nous-mêmes en cette rentrée, pour combattre les puissances qui n’ont pour principe que l’accès à l’enivrant pouvoir, l’argent, « l’ogre économique » comme idéaux.

La conclusion nous renvoie à la parabole des talents, qui entraîne le christianisme à se positionner à l’opposé de l’univers aristocratique de Rome. Ce qui compte, pour les chrétiens n’est pas le talent à partir duquel on se situe dans la hiérarchie, mais l’usage qu’on fait de ce talent, ce ne sont pas les dons reçus à la naissance, mais l’usage de ces qualités reçues plus que les qualités elles-mêmes. « À vos marques ! ». On sait bien que la force, l’intelligence, la mémoire etc., sont des qualités qui peuvent être mises au service du pire —la construction d’un pouvoir que symbolise une Tour, de Babel ou de Trump— comme du meilleur. C’est l‘usage que l’on fait du talent qui peut être dit vertueux. Ce que montre la parabole de l’Évangile. 

Et si vous la relisiez, cette parabole, avant la rentrée…

 

 

Gerard Leroy, le 2 septembre 2019