Pour Véronique, en hommage amical

   Le virus nous donne le tempo et nous affole. Les appels de détresse alternent avec les pleurs et les peurs. Nous vivons dans la crainte de quitter seul ce monde et ces gens qu’on a aimés. Toute tentative de donner sens à cette souffrance apparaît comme une perversion qui consiste à trouver du bien dans ce que l’on reçoit comme absurde.

L’Église s’est vue jadis suspectée quand elle exaltait la souffrance, comme un encouragement à la prière mercantile faisant de la douleur le prix à payer pour arriver à Dieu. L’Église a compris, au siècle dernier, qu’elle devait abandonner cette pensée fumeuse. Il reste que, face à ce désarroi, on voudrait bien œuvrer comme le thaumaturge Jésus et expulser le mal qui nous guette. On n’est pas Jésus ; que nous reste-t-il à faire d’autre sinon s’approcher du patient que la vie a meurtri, « pour de vrai » ou par téléphone, lui dire l’espoir, nourrir l'envie de croire, quand la boussole déboussole. Nous nous sentons souvent démunis, devant ces souffrants qui appellent à l’aide. Les résidents en Ehpad attendent de nous l’impossible, que l’ami vienne soutenir le courage qu’ils n’ont plus. Ils attendent simplement de se sentir caresser le visage.

Derrière notre crise virale, se cache une crise vitale : l’expérience de mort sociale. Et la mort spirituelle ? La mission d’un homme de foi est d’accompagner ceux qui ne nous précèdent jamais que d’un corbillard ! Ces malades font surgir nos propres limites. Devant notre impuissance qu’on accepte mal, saint Paul nous dit : « Avec les faibles, j’ai été faible ». Autour d’un lit, deux personnes sont unies, qui partagent ensemble un bout de chemin. Qui se parlent. Qui se touchent, qui font silence. Et qui prient !

Jésus, fait de même, quand il s’arrête près d’un malade. Paul a donc un modèle pour agir de même. Jésus, et saint Paul à sa suite, savent que chaque individu a ses attentes, ses aspirations et que c’est à celui-là, celle-là, qu’en donnant de son temps, on donne de l’amour. On soulage, ne serait-ce qu’un peu, un malade en le visitant. Au nom de Jésus et en notre propre nom !

Ne sommes-nous pas un peu de Job en nous introduisant dans un Ehpad ? Ne sommes-nous pas un peu de Job en soignant ?

Certains traversent la vie comme on traverse une vallée de larmes disait un philosophe. Ces larmes sont celles de Job quand il se lamente : « Le soir n’en finit pas, je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube ». Et Job présente à Dieu sa plainte : « souviens-toi Seigneur, ma vie n’est qu’un souffle ». Job a besoin à ce moment-là d’une aide respiratoire ! Il en appelle à Dieu dans sa souffrance, il lui fait confiance. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. C’est pas logique ! Raison et confiance ne font pas bon ménage.

Si Dieu est tout-puissant et bon, comment expliquer la souffrance ? Là est la réaction de Job. Réaction qui se prolonge lors de la visite de ses amis venus le consoler. Leurs raisonnements ne tiennent pas. Dieu lui donnera, finalement, raison.

On ne peut pas toujours parler de Dieu à celui qui souffre, mais on peut toujours parler à Dieu de celui qui souffre.

Quand en souffrant nous prions, c’est que nous avons besoin d’une autre présence que celle de notre corps. Plutôt que de penser que je suis un corps, me vient à l’idée que j’ai un corps et que je m’en détache un peu pour être avec un autre. Le mal est un drame qui peut m’enlever le désir de Dieu et la force de prier. Or Dieu qui s’est fait chair a accepté la souffrance d’un supplice inhumain, celui d’une crucifixion ! Par Lui, avec Lui et en Lui, notre chair malmenée est le lieu de la rencontre entre Dieu et l’homme.

Lors de la nuit qu’inaugure la Cène, Jésus prie. Job n’aime pas la nuit. Job n’aime pas les cauchemars. Pourquoi Jésus se lève-t-il la nuit ? Pour rejoindre ceux qui ne dorment pas ? C’est vraisemblable. Parce qu’Il est Lumière dans nos nuits. Dieu n’est plus étranger à la souffrance. Il est dedans. Il s’est fait souffrance. Et souffrance rédemptrice. Il est avec nous.

Jésus s’est fait faible avec les faibles, souffrant avec les souffrants. Pour eux, pour nous tous qui allons passer par là ! Sa faiblesse qu’il a voulu, c’est sa puissance. C’est ce que je découvre en Le cherchant.

 

Gérard Leroy, le 26 mars 2021