Pour Marie, ma fille

   Funeste est celui qui cause la mort ou apporte le malheur. Pédant ? Furetière, poète du XVIIe siècle, décrit le pédant dans son dictionnaire universel comme celui qui « fait un mauvais usage des sciences, qui les corrompt & les altère, qui les tourne mal, et fait de méchantes critiques. »

La puissance des réseaux sociaux a révélé le pédant en même temps qu’elle a semé la pandémie d’une sur-médiatisation débridée et l’une des pires productions de la désinformation et de l’offensive anti-science. Voilà ce qu’a causé le phénomène Raoult, dénoncé sans ambages par le journaliste Patrick Cohen sur le plateau de Ç à vous.

Ce professeur dont la connaissance de sa discipline n’est pas remise en cause, ne dispose pas d’une intelligence à la hauteur de son savoir en prétendant vrai, au prétexte qu’il sait, ce qui est faux à l’observation des falsifications qui ont émaillé les résultats de ses études, qui lui firent annoncer sans vergogne qu’il avait le remède dans ses tiroirs, sans preuve ni précaution. Était-ce cohérent de proposer simultanément un médicament révolutionnaire et affirmer en même temps qu’il n’y a pas de pandémie chez nous ? En conséquence le port du masque se rêvele en effet aussi inutile que le vaccin.

La preuve du faux ? Ses études bidon révélées par ses pairs !

Comme l’a noté Patrick Cohen, les déclarations de Didier Raoult ont mobilisé des chercheurs qui ont voulu vérifier ses preuves au terme d’essais rigoureux que lui, Didier Raoult, se refusait à effectuer. La société médicale s’est montrée polie à l’égard de ses billevesées, bienveillante jusqu’à la complaisance. Toutes les têtes ornées des lauriers de la République se sont obligées à interroger le « grand professeur » avec une obséquiosité qui traduit un gros syndrome de Stockholm qu’impose la suffisance d’un Monsieur qui s’auto-proclame « l’élite de la nation ». Excusez du peu. Les dizaines de milliers de chercheurs, en paléontologie, en physique, en océanographie, en agronomie, en sociologie et j’en passe, doivent se calfeutrer pour ne pas être démasqués d’une usurpation honteuse.

D. Raoult a semé le trouble dans l’opinion, il a mis la science en désordre, allant même effrontément jusqu’à accuser ses contradicteurs d’être corrompus ! Ce presque Diafoirus a même porté plainte pour harcèlement, contre la scientifique Elisabeth Bik, une microbiologiste néerlandaise connue pour son travail de détection de la manipulation frauduleuse dans les publications scientifiques. E. Bik a en effet mis au jour une soixantaine d’anomalies ou de falsifications dans les études passées de l’IHU.

En regard de ce pataquès inédit le journaliste Patrick Cohen s’étonne du mutisme des Universités d’Aix-Marseille. Pas de réaction non plus de l’Agence du médicament indifférente au non respect de la déontologie médicale, ni du Ministère de la santé qui a pour tâche, une de plus, c’est vrai, de vérifier que l’argent public a été bien utilisé. Ça ne semble poser de problème à personne.

L’adjoint de D. Raoult, Éric Chabrière, ne s’émeut pas de tout cela. Tel Sancho Panza sur son âne, il peut balancer les menaces et insultes contre ses confrères, et s’en aller publier sur les réseaux sociaux dont il est « geek », l’adresse personnelle de Madame Bik. Une association citoyenne s’est mobilisée pour dénoncer et lancer une pétition contre le harcèlement subi par les porteurs de l’intégrité scientifique, dont Elisabeth Bik. Le 18 mai, une lettre ouverte signée par des centaines de scientifiques a pris à son tour la défense de la chercheuse. Une quinzaine plus tard, le 7 juin, le CNRS dénonçait la plainte déposée par E. Chabrière contre Elisabeth Bik.

Toute cette arrogance dogmatique s’est développée au nom d’un établissement public présenté comme le pôle d’excellence de l’infectiologie française. L’IHU, établissement hospitalo-universitaire, est devenu la référence des négationnistes de la pandémie, l’un des points de repère des complotistes anti-masques et anti-vaccins. Convenait-il que des responsables politiques aillent exécuter des tours de souplesse dorsale dans le bureau de D. Raoult et lui donner l’onction devant des caméras ? Le Président lui-même n’est-il pas allé un peu vite en besogne ? Les politiques, tels Panurge, ont emmené quelques étourdis dans leur sillage ; des journalistes se sont rendus comme au chevet de sa Majesté. Docilement recueillis autour de Raminagrobis ils ont avalé les propos méprisants du dieu de l’infectiologie à l’encontre de la valetaille de ses confères.

Cette affaire révèle la puissance néfaste des réseaux sociaux et l’un des pires accès à la désinformation. Certains se servent de la science comme tremplin pour leur ego. Quand les ego se chamaillent, les scientifiques ne servent plus la population. Ils la trompent.

Après ça, on se sent comment ?

 

Gérard Leroy, le 23 juillet 2021