Situation présente

 Nous vivons aujourd’hui dans une société ethnique bigarrée, un véritable kaléidoscope, à l’intérieur d’espaces qui, jadis, se caractérisaient par une homogénéité culturelle, linguistique, religieuse, comportementale. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Partout nous croisons des gens qui ne nous ressemblent pas, que ce soit à Perpignan, à Mulhouse, ou à la Gare du Nord, qui ne parlent pas la même langue, qui n’observent pas les mêmes rites, les mêmes rythmes, qui ne partagent pas les mêmes symboles, les mêmes réflexes culturels.

Soudaineté de la mutation

 Nous sommes dans un monde dont la caractéristique plurielle s’est révélée en moins d’un demi-siècle. Bien entendu le monde a toujours été divers. Mais si nous le savions nous ne l’expérimentions pas. En mode d’introduction, je propose de rappeler quelques bouleversements, pour mieux souligner le contraste du monde d’hier avec celui d’aujourd’hui. Hier, dans les années 50, un village ne se modifiait pas d’une pierre pendant des décennies. Le bourg entourait son église, qui sonnait immanquablement la messe tous les dimanche à la même heure. Tous les gamins du primaire allaient au "caté". Les institutions étaient figées. Et les valeurs s’inscrivaient dans le registre de l’évidence. Qu’est-ce qui faisait office de régulateur moral ? Le qu’en-dira-t-on !  Lequel pouvait avoir valeur de carton rouge capable de mettre en quarantaine un individu ou un groupe qui ne respectait pas les pratiques sociales de la région.

Soudain, tout a été chamboulé, par le progrès technique d'abord. Dans les années 50 l’arrivée du tracteur révolutionne le travail agricole, l’auto populaire (la 2CV, la 4CV) développe l’autonomie. On assiste aux premiers balbutiements de la télévision, qui porte le regard sur des horizons différents. La médecine fait reculer la tuberculose et la polio. Les choses avancent si vite qu’on se sent dépassé. Il faut savoir qu'à cette époque, la majorité des gens fait siéger l’élan amoureux dans la région du cœur. D’où la certitude que le gréffé allait tomber amoureux de la veuve du donneur !... C’est aussi le temps où l’on s’envole jusqu’à la lune. Tout bouge. La culture bouge. Le jazz arrive, la chanson explose, le ciné déshabille Bardot, le théâtre met en scène les auteurs d'un théâtre nouveau, Arrabal, Pinter, Ionesco, Beckett et tous les penseurs de l’absurde.

 En même temps commence à éclore la civilisation des loisirs, qui marque l’avènement d’une société boulimique qui éprouve de moins en moins le désir patient d’être et qui manifeste de plus en plus le besoin impatient d’avoir, de consommer, et de jouir.

 Tout cela se développe, et commence à faire sauter les contraintes sociales, religieuses ou morales. L'État lui-même s’en mêle et en arrive à légifèrer sur l’avortement, sur le divorce, sur l’autorité parentale...

 L’autonomie devient la marque des sociétés modernes. L’adhésion à une religion commence à se dispenser de la validation de l’institution. Problème pour l’Église. Sur le plan économique on assiste alors à une internationalisation de toutes les activités. Le “nomadisme” devient une exigence professionnelle. Chacun parcourt le monde, pour y vendre ses produits, les livrer et régler leur mise en place, ou pour se former aux améliorations apportées sur les machines qu'on détient. Tout cela implique une durée de séjour loin de ses bases. Un brassage s’opère, entraînant la rencontre de traditions et de cultures diverses.. Le monde est devenu un grand village, un global village.

 Nous découvrons désormais des modes d’existence, de cultures autrefois étranges. Alors que peu de temps auparavant le seul fait d’aller manger dans un restaurant chinois paraissait exotique et que pour un peu nous serions allés suivre une formation au maniement des baguettes ! Peu à peu tout le paysage qui nous entoure, les restaurants, les affiches, les spectacles, l'art en général, tout cela manifeste notre entrée dans ce qu’Edgar Morin appelle la civilisation planétaire. Le monde impose aujourd’hui cette dimension planétaire et révèle en même temps toute la diversité qu’il recèle.

 La pluralité

Sur la plan culturel, le monde est caractérisé par la pluralité. Ce monde est pluriel. Il y a des cultures, des langues, des nations, des religions. Tout en observant le maintien des frontières, des États, des limites de souveraineté, des lois propres au territoire limité, nous assistons à un estompement des frontières, par le rayonnement de foyers culturels (qui ne sont pas définis par des souverainetés d’États-Nations), influents, généreux, interactifs. Nous corrigeons peu à peu notre représentation géopolitique du monde, donnant une considération nouvelle à l’entrecroisement des faisceaux culturels. Nous ne pouvons pas projeter l’état de l’humanité en faisant l’impasse sur sa condition plurielle. Nous sommes appelés à découvrir le sens d’une culture dans une autre, en décelant des équivalences, non des identités, non la mêmeté.

Notre civilisation est planétaire et plurielle.

La pluralité culturelle est un phénomène social important qui se traduit, entre autres, par la pluralité religieuse. Quel aspect de la culture manifeste le mieux la pluralité culturelle ? Certes nous pourrions examiner les expressions artistiques, la chanson par exemple, ou le théâtre, la diversité linguistique d’un groupe etc. La pluralité culturelle peut s’observer au travers de cette composante qu’est la composante religieuse.

Le concept de religion s’inscrit dans le rapport à la culture. La religion a toujours donné son sens à la culture, y compris quand une société est en majorité sécularisée et sans référence à un Dieu, à une Église, à une foi. La religion, comme préoccupation ultime de l’homme, ou l’a-religion comme dénégation de cette préoccupation, donne sens à la culture. La religion est une expression de la culture, indépendamment de l’origine scirpturaire sur laquelle elle s’appuie. Il y a de la religion sans foi, subjective, et de la religion comme expression de la foi.

Cette pluralité religieuse est aujourd'hui un phénomène admis, qui exige des croyants une prise de conscience de leur responsabilité dans ce monde pluriel, où le dialogue interreligieux s'inscrit parmi les priorités, non comme principe, ni comme fin en soi, mais comme un des moyens de construction d’une terre plus habitable. On ne peut pas envisager de paix globale sans se préoccuper de la paix entre les religions, et on ne peut envisager de paix entre les religions sans dialogue entre elles. Voilà pourquoi le dialogue interreligieux est important. Nous y reviendrons prochainement, dans une autre rubrique.

 

G. LEROY, le 23 mai 2008