Pour Cathy Depernet et Bernard Lefèvre, en communion fraternelle

Il s’agit de l’événement dans lequel Dieu est devenu homme, dans lequel la Parole a été faite chair. “Et le Verbe fut chair et il a habité parmi nous: et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père.”  (Jn 1, 14).

Avant tout commentaire quelques précisions de vocabulaire peuvent être utiles :
- Le mot chair, chez Jean, désigne le tout de l’homme, une histoire affectée de la limite de la mort. Le Verbe a commencé à exister dans la condition humaine. Les chrétiens en témoignent. Notons que ce texte réagit en s’opposant à l’hérésie docète qui niait la réalité historique de Jésus, et réduisait l’Incarnation à une apparence;

- Il a habité : litt. il a établi sa tente. On peut apercevoir ici une allusion au Temple de Jérusalem, lieu de la présence divine (cf Jn 2, 20) : “les juifs disent à Jésus : “il a fallu 46 ans pour construire le Temple et toi tu le relèveras en trois jours ?”.
- Le concept de gloire reprend celui de l’Ancien Testament. La gloire s’attache à ce qui est saint, à des événements qui manifestent la puissance de Dieu.
- La mention de Fils unique souligne le caractère absolument singulier de la filiation du Christ.

 

Approche historique

Après avoir déroulé la généalogie de Jésus, Matthieu souligne que “Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu’ils aient habité ensemble elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint.” (Mt 1, 18).

Marie est élue, sans aucun mérite de sa part, élue dans sa féminité, dans ce qui la distingue de l’homme, pour manifester ce que la créature humaine peut être et peut faire, malgré le péché, lorsque Dieu se penche sur elle : “Voici, je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon Ta Parole !” (Lc 1, 38). L’être humain peut croire à la Parole de Dieu. Marie a compris qu’elle serait la mère du Seigneur qui n’a pour père qu’un Père éternel. “L’Esprit Saint viendra sur toi, dit l’ange à Marie, et la Puissance du très-Haut te couvrira de son ombre; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu”. (Lc 1, 35).

Celui qui va naître sera saint. Ce terme marque l’appartenance exclusive à Dieu. C’est l’une des plus anciennes expressions de la divinité de Jésus.

L’événement, qui a déjà en soi de quoi bouleverser, ronge d’inquiétude la mère choisie par Dieu. Comment Joseph pourrait-il supporter l'annonce que lui ferait Marie ? Comment Marie, consciente d'être couverte d'opprobre, qui risquait d'être mise au rang des prostituées, menacée de la lapidation par dessus le marché, comment allait-elle faire face à l'horrible certitude de son fiancé qui l'avait laissée vierge ?
Joseph pouvait-il répudier Marie en taisant les raisons du recours de cette faculté légale qu'avaient les hommes de se séparer de leur femme, selon leur bon vouloir ? Dans ce tout petit village de Nazareth de l'époque, d'une population proche de 1600 habitants, qui aurait compris que Joseph, à la veille de son mariage, répudiât sa femme, alors qu'elle ne pouvait plus cacher ses rondeurs ? En plein désarroi, que pouvait-il faire, sinon se retirer pudiquement d'une affaire qui le dépassait ?

L’Ange du Seigneur apparut alors en songe à Joseph. “Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse. Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit.” (Mt 1, 20). L’Esprit opère l’œuvre créatrice (cf. Gn 1,2) (1)  et l’investiture du Messie ( 2).
Marie se demandera souvent : "Mais qui donc est mon enfant ?" L'ange, puis Joseph, puis sa cousine Élisabeth, les mages, le vieillard Siméon, Jean-Baptiste lui-même l'aideront à découvrir tout ce qui dans la Loi et les Prophètes concernait son enfant.

 

Approche théologique   

Conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie”. On fera une distinction entre la conception, qui consiste à former en soi, donner à l’être d’être ce qu’il est, dans sa nature, et la naissance, comme commencement de la vie indépendante.

Dans cette formule du Symbole il nous faut tenir compte de la double signification des mots qui véhiculent un sens général réel, et un sens second. D’abord l’objet qu’ils désignent c’est l’événement de l’Incarnation. Ils expriment d’une part le mystère de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui a Dieu seul pour père, qui a pour mère la Vierge Marie. Ce premier aspect révèle la libre grâce de Dieu dans sa Révélation : c’est le mystère de la Révélation en elle-même.

Le sens que l’on saisit en second se rapporte à l’aspect particulier sous lequel cette Révélation se fait connaître comme libre grâce : c’est le miracle du signe, perceptible par l’humain.

 

1) Jésus a été conçu du Saint-Esprit

Relisons Mt 1, 20. L’ange s’adressant à Joseph lui annonce que “ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit-Saint.” “Conçu de l’Esprit Saint” : cette formule du Symbole exprime ce fait que l’existence humaine de Jésus-Christ, distincte dans son état de créature de toutes les autres créatures, a son origine immédiatement en Dieu et n’est autre que l’existence même de Dieu. Ce qu’affirme saint Jean en disant que “Dieu donne l’Esprit sans mesure à Celui qu’il a envoyé.” (Jn 3, 34). Jésus, esprit de Dieu, donne l’Esprit (pneuma en grec). “[L’Esprit] me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera. Tout ce que possède mon Père est à moi; c’est pourquoi j’ai dit (je peux dire) qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi.”  (Jn 16, 14). L’esprit conduit progressivement les disciples à la connaissance de la réalité qui se manifeste en Christ et, du même coup, il achève son œuvre qui était de glorifier ou de manifester le Père. C’est ainsi qu’apparaît l’unité infrangible de la Révélation.

Dans l’Ancien Testament “Esprit de Dieu”, (ruah, en hébreu), exprime la puissance d’action de Dieu. Le Nouveau Testament parle du paraclet, qui se distingue du Père et du Fils : “Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage de moi.” (Jn 15, 26).

Si l’Esprit Saint possède la plénitude de l’existence et de la vie divine, unique et infinie, c’est parce que le Père et le Fils sont par leur essence même aimants. Et l’Esprit est aussi l’Esprit de la communication de Dieu vers l’extérieur, vers le monde. Il est l’Esprit de la grâce, le Dieu hôte, avocat, vie et paix, celui qui fait mûrir en l’homme l’amour, la joie, la paix, la sagesse. Il est la force cachée de notre transformation, dès le baptême. Il est la force de l’Église en étant son Esprit.

 

2) Né de la Vierge Marie

La naissance virginale renvoie à un vocabulaire technique qui ne signifie pas la formation biologique d’un fœtus dans le corps d’une jeune femme sans contribution masculine. Il s’agit ici de la naissance d’un homme à partir d’une corrélation entre Dieu et une femme.

Le secret de cette naissance n’était connu au début que dans un cercle restreint (cf. Mt 13, 55; Lc 3, 23). Les récits rapportés par Matthieu et Luc sur l’enfance de Jésus (Mt 1, 18-25 et Lc 1, 26-38) sont écrits indépendamment l’un de l’autre et avec des visées différentes : Luc cherche à montrer l’accomplissement de l’attente messianique juive, Matthieu se concentre sur la filiation davidique de Jésus. Quand les chrétiens disent que Jésus-Christ est “né de la Vierge Marie”, ils signifient que l’existence de Dieu en Jésus-Christ —sans méconnaître que Dieu reste le Créateur— a aussi une origine humaine, créée.  “Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme” dit justement Paul aux Galates (Ga 4, 4).

Marie, mère virginale de Jésus-Christ, l’a enfanté par le “oui” libre de sa foi, don de la grâce de Dieu. Elle lui a donné dans son sein la vie lui donnant d’être membre du genre humain. Mère du Seigneur, la voilà génitrice de Dieu, co-rédemptrice selon la théologie de la fin du XXe s. L’Incarnation du Verbe, né d’une femme, manifeste objectivement qu’en Jésus se produit un commencement nouveau de l’histoire. Par la grâce du Dieu libre Dieu créé l’unité de Dieu et de l’homme. Il la créé parce qu’il veut la créer. Ce n’est pas une unité différente de l’unité éternelle du Père et du Fils. Cette unité est le Saint-Esprit, qui rend nécessaire et possible l’unité de Dieu et de l’homme.

Dieu et l’homme ne firent qu’un dans la conception et la naissance de Jésus-Christ, de telle sorte qu’en lui ils sont un, pour l’éternité. On peut donc énoncer au sujet de Jésus-Christ cette double affirmation : Il a été et Il est Dieu et homme. De toujours. Tel est Jésus-Christ, en même temps d’origine et en Lui-même vrai Dieu. C’est pourquoi il est dit “conçu du Saint-Esprit”. Mais Vrai Dieu et vrai homme. C’est pour cela qu’il est dit : “né de la Vierge Marie”.

 

 Remarque conclusive

Jean, dans le premier chapitre de son évangile, nous parle d’un devenir, autrement dit il nous renvoie à l’histoire. Cela ne va pas de soi. Était-ce nécessaire ? Nous ne connaissons aucune nécessité divine en vertu de laquelle il fallait que la Parole devînt chair. Était-ce possible ? Et l’on ne connaît pas non plus de possibilité humaine en vertu de laquelle la Parole pouvait devenir chair.

La Parole est devenue chair. Jean situe cet événement en usant du passé. Nous ne pourrons jamais comprendre qu’une fois pour toutes le vrai Dieu est devenu vrai homme en Jésus-Christ, en même temps qu’il l’est de toujours. Notre compréhension butte là et notre rôle est limité à suivre.

Dieu, sans cesser d’être Dieu, est devenu et est homme. Si la foi veut le contempler dans sa divinité elle ne peut pas faire l’économie de son humanité, oublier la crèche de Bethléem et la croix du Golgotha. Le mystère de Jésus consiste en ceci qu’il se tient à la fois des deux côtés de la frontière qui sépare Dieu et l’homme. Il est Fils de Dieu et Fils de l’homme. Le mystère de la Révélation est en un mot le mystère de la divinité et de l’humanité réunies dans la personne de Jésus-Christ. L’Incarnation apparaît comme l’accomplissement le plus élevé possible de tout ce que “homme” veut dire. Et “l’humanité” du Christ apparaît comme étant exactement ce qui se produit quand Dieu, dans sa Parole, “s’aliène” (se dépossède de soi), dans un autre qui est créature. Jésus-Christ est ainsi au sommet de la création, en tant que membre de l’humanité, à la fois son Seigneur et le médiateur entre Dieu et la création. À partir de là l’essence de l’homme nous est signifiée comme ouverte sur l’Être absolu de Dieu.

 

 

Gérard LEROY, le 25 avril 2009

 

  •  (1) cf Gn 1, 2 : “La terre était déserte et vide (tohu bohu) et les ténèbres couvraient l’abîme; l’esprit de Dieu planait sur les eaux.” cf. le mythe babylonien de la création. L’esprit et l’eau participent à la création de l’homme nouveau par le baptême comme l’esprit et l’eau sont à l’origine de la création en Gn 1, 2.
  •  (2) cf aussi  Is 11, 1-6.