Pour mes enfants, et pour nos frères franciscains de Narbonne, en communion

   « Ceci est mon corps ». Mangez-en ! Le Christ vient habiter ce chaos de mon corps, de mes passions, de mes turpitudes, de mes pulsions. En même temps il m’invite au corps à corps de l’homme et de Dieu. Le corps humain est du biologique, certes, mais ne s’y réduit pas. Il y a en moi une vie du corps qui fait aussi ma vie, la plus profonde et la plus intérieure peut-être.

Le corps de Jésus fut lui aussi d’abord organique. Il s’est donné dans un corps, comme le nôtre, à Bethléem. Il s’est offert comme corps au Cénacle la veille de sa crucifixion, à Jérusalem. « Ai-je un corps ou suis-je un corps ? » interroge le philosophe qui a privilégié le « vécu du corps » sur le corps comme matière organique. Il nous faut tenir ensemble l’un et l’autre.

L’Eucharistie est une fusion des corps et un partage des forces, mieux : une « communication de la force » qui va de Dieu à l’homme. Car en l’Eucharistie je reçois en moi de la force de Dieu dans son corps qui se donne à moi, qui vitalise aussi ma propre force, jusque dans ma vie organique, comme il en va de la fonction du manger et du boire. L’Eucharistie est une passation de forces où « Dieu divinise, l’Esprit spiritualise ce que l’homme humanise. » (F. Varillon). L’homme s’humanise en mangeant le corps du Christ qui le divinise en se laissant ainsi assimiler. La communion eucharistique ne vient pas seulement diviniser l’homme, elle a aussi pour vocation de le faire entrer toujours davantage dans son état d’être homme créé pour devenir humain.

De même que le sacrement de mariage unit les corps des deux époux, l’Eucharistie, en transformant le pain en corps et le vin en sang, unit le corps du Christ et celui de son disciple amoureux qui apprend de lui à aimer et à désirer ce pour quoi et ce dans quoi nous sommes : hommes et femmes dans l’éros conjugal, humanité et divinité dans l’agapè eucharistique.

L’humain est incorporé au Fils de l’homme, au Verbe, déjà et pas encore introduit dans la Trinité par le vœu de Jésus à son père : « fais qu’ils soient un en nous ». Prenons et mangeons. Laissons-nous aller à l’ivresse du divin, l’ivresse d’un manger et d’un boire capable de nous transformer de part en part, « pour que nous ayons la vie » (Jn 10, 10). Qui est la vie ? (Jn 14, 6).

Gérard Leroy, le 9 avril 2020, Jeudi Saint