Faisant suite à l'article intitulé "À la redécouverte de l'Eglise catholique", Xavier Larère, Président du Mouvement pour la Réinsertion Sociale (MRS) nous fait part d'une observation et de commentaires pertinents sur le comportement de l'Église d'aujourd'hui qu'il encourage à se repenser.

   Et s'il existait un onzième commandement, implicite :
Ton Eglise adoreras
Jamais ne la contesteras
vu la difficulté pour tant de clercs d'admettre qu'il puisse y avoir des péchés de l'Eglise ?

1 - Ebauche d'un portrait impressionniste

-    une gérontocratie : fondée par un homme jeune, infatigable marcheur par tous les temps, l'Eglise est dirigée par un vieillard plus porté sur l'étude solitaire que sur le dialogue d'homme à homme. Election voulue par l'Esprit saint ?  Comme celle de Jean XI, fruit des amours de l'impératrice Théodora avec un prêtre qu'elle fit évêque, puis pape sous le nom de Jean X ? La papauté héréditaire ? C'étaient d'autres temps, il est vrai (10ème siècle)

-    Un gouvernement qui n'a pas renoncé aux titres, au faste,  aux manifestations extérieures d'un pouvoir qui fut monarchique. Le successeur de Pierre qui accepte de voyager comme un puissant chef d'Etat, en automobile blindée. Des chandeliers en or, remisés par Jean-Paul II, sont ressortis, on fait faire des copies de surplis en dentelle du 16 ème siècle. La photo du repas réunissant les cardinaux pour le cinquième anniversaire de l'élection du pape n'a rien à envier à celle d'un diner de fund raising pour millionnaires américains. Servus servorum Dei, oublié ?

-    Déjà dit, mais capital, une langue codée, élitiste, à l'opposé du « parler » de Jésus, homme du peuple, proche de la nature et du quotidien ?

-    Le recours aux commandements détaillés, à l'énoncé minutieux du permis et du défendu, tels qu'ils se présentent dans le catéchisme de l'Eglise catholique, est-il si différent de l'ancienne loi juive ? Et ses rédacteurs ont-ils eu présent à l'esprit la mise en garde de Jésus envers ceux qui accablent les croyants de fardeaux qu'eux-mêmes se gardent bien de soulever ?

2 - Un rapport ambigu au pouvoir, à la puissance, comme si l'Eglise vivait dans la nostalgie de son concubinage avec l'Empire romain

-    le pouvoir atomique, image ''limite'' pour évoquer cette arme absolue que constitue la possession de l'unique vérité. Surtout  lorsqu'elle s'accompagne du  pouvoir de « lier et de délier ». Conféré par celui qui affirmait qu'il n'était pas venu pour juger, ce pouvoir comporte-t-il celui de condamner ? Jusqu'à l'inquisition, sans doute le péché le plus incompréhensible, le plus inexcusable de l'Eglise, malgré le « compelle entrare », parce qu'il nie absolument la liberté de l'homme apportée par le Christ.
Pouvait-on soutenir que la religion chrétienne donnait à ceux qui la professent le droit de réduire en servitude  ceux qui ne la professent pas, pour travailler plus aisément à sa propagation ? Ou celui d'édicter, avec un arrière plan de contrôle de la société par la culpabilisation, une police des mœurs que chacun doit observer avec « la soumission religieuse de l'intelligence et de la volonté ». Et il a fallu le courage de Benoit XVI pour qu'il soit clair que cette police valait aussi pour les clercs.

-    le pouvoir temporel. On sait que la papauté a longtemps prétendu dominer tous les pouvoirs temporels, partager le monde entre eux et les soumettre à ses arbitrages. Folie d'un rêve prométhéen ! Aveuglement, faiblesse devant cette « deuxième tentation ».
Estimant ne pouvoir exercer son pouvoir spirituel sans indépendance temporelle, la papauté s'est employée par tous les moyens à se constituer un royaume terrestre. Lors de la donation de Pépin le Bref en 754, la papauté obtint la « restitution » (justifiée par un faux) de la Romagne et des Marches (de Rimini à Ancône) et pendant onze siècles elle a utilisé tous les moyens pour maintenir et agrandir  les « Etats pontificaux ». Jésus a du se retourner trois fois dans son ciel pour y croire. Fallait-il vraiment, de 1870 à 1929,  60 ans à l'Eglise pour comprendre que ces Etats,  n'étaient pas indispensables à l'accomplissement de sa mission. Et après avoir excommunié le premier roi d'Italie, très croyant !
Si on peut admettre, cet épisode unique mis à part, que l'Eglise se soit défendue contre des pouvoirs envahissants, il est regrettable qu'elle ait trop souvent accepté l'inacceptable en frayant, lorsque ses privilèges étaient maintenus,  avec des dictatures impitoyables (Espagne, Chili…). La peur du communisme athée ne peut être une excuse suffisante.
N'est-ce pas aussi avec le même souci qu'elle a pu apparaitre indulgente vis-à-vis de certains excès du capitalisme ?
Et lorsqu'elle a été associée intimement au pouvoir temporel, l'a-t-elle exercé dans la fidélité au message d'amour et de miséricorde de Jésus ? Un seul exemple, l'Irlande où, sous son influence, les filles-mères n'avaient le choix, après qu'on leur ait pris leur enfant, qu'entre le couvent et l'asile psychiatrique. Ajoutons que ces enfants « du péché » étaient traités sans aucune humanité et que les géniteurs n'étaient jamais mis en cause (cf le roman de Sebastian Barry, Le testament caché).

-    le pouvoir de l'image. Les grands rassemblements : oui pour la visibilité, mais au-delà ? Rameaux éphémères, vivier de vocations ? N'est-ce pas plutôt de lisibilité que l'Eglise a besoin ? La papolatrie…..amour de Dieu ou besoin d'idoles ? La canonisation systématique des papes : politique d'auto-célébration délibérée ? sinon pourquoi s'obstiner à béatifier (pour commencer ?) Pie XII, ce qui sera une source d'interrogation, sinon de division ? Est-ce là le modèle de pontife à proposer aux catholiques, ou bien un geste vers les intégristes qui l'ont plus ou moins annexé? Ne serait-il pas plus judicieux de proposer Don Helder Camara, même si Jean-Paul II, après l'avoir chaleureusement salué de « frère des pauvres et donc mon frère » a laissé nommer à Récife un successeur qui s'est employé à détruire tout ce qu'il avait mis en place à leur service, faisant même appel à l'armée pour disperser ceux qui étaient venus lui demander secours et protection ? Et si le cardinal Camara est encore trop dérangeant, pourquoi pas son secrétaire, le père Néto, martyrisé par la police en 1969 ? Ou bien le cardinal Duval qui, après avoir annoncé dès 1950 que « les injustices préparent la guerre », s'est employé à éviter, par de courageuses prises de position publiques, que la guerre d'Algérie ne devienne une guerre de religion.

Fondée par le plus grand communicant de tous les temps, l'Eglise ne sait pas faire…

3- Une difficulté à écouter,  à faire confiance, à recevoir, à pardonner

Un climat de méfiance :

-    envers les hommes, elle n'ose sans doute plus prêcher la résignation dans le genre de ce Motu proprio de Benoit XV, en juillet 1920. « les ouvriers…il leur est permis de sortir de l'indigence et d'arriver à une situation meilleure par des moyens légitimes, mais ni la raison, ni la justice ne les autorisent à renverser l'ordre voulu par Dieu ». Que de bêtises, de crimes parfois, au nom de ce concept « d'ordre voulu par Dieu » qui arrangeait tellement les classes possédantes.

-    L'Eglise regrette peut-être que les fidèles ne soient pas tous ''soumis'' (comme en Islam ?) à l'exemple des Philippines, catholiques à 98%, où le nombre de familles misérables, avec beaucoup plus d'enfants qu'elles ne peuvent en élever dignement, ne cesse de s'accroître en raison du refus des évêques de toute contraception autre que naturelle. Faire confiance à la conscience individuelle des catholiques, ce n'est pas dans la culture du catholicisme romain et, lorsqu'il y est fait référence, c'est à condition qu'elle s'exerce sous « l'autorité du magistère ». Et pourtant Bernanos nous rappelle, par la voix de l'abbé Cénabre, que « le regard inaltérable de la conscience » peut être d'une lucide exigence. Le rêve  de l'Eglise, en tout cas de la catholique romaine selon Dostoïevski et son Grand Inquisiteur, serait-il que les hommes soient convaincus que leur bonheur passe par l'abdication totale de leur liberté entre ses mains.

-  envers la société :  malgré Gaudium et spes, un incontestable progrès dans son regard  sur les sociétés humaines, ne serait-ce qu'en marquant que la misère ne fait pas partie du « plan de Dieu », l'Eglise donne l'impression qu'elle veut garder ses distances avec le monde d'aujourd'hui, qu'elle le regarde vivre avec plus de méfiance que d'amour, qu'elle est peu ouverte aux évolutions. Sa parole publique, spécialement dans les homélies, parait peu concernée par la crise, ses conséquences pour tant de familles, les scandales qui apparaissent, les débats qui tentent de s'instaurer. La consigne de limiter les homélies au commentaire de l'évangile du jour interdit-elle de parler de la vie ordinaire ? Jésus ne s'en privait pas ! Sur le terrain, le « peuple de Dieu » a un sens instinctif de ce qui est juste et bon , l'expression de sa conscience collective, le « sens fidei » inspiré par l'Esprit, sait faire le tri entre le évidences collectives acceptables et celles qui posent problème. Pourtant, ça  n'intéresse guère la hiérarchie. Le manque total d'encouragement pour l'excellente initiative de la Conférence des baptisé(e)s de France…

-  l'Eglise se méfie aussi d'elle… ce qui se traduit par des peurs :

* peur du débat public
En caricaturant à peine, je dirai que lorsqu'il a exposé ses propres convictions de façon raisonnée et raisonnable, Benoit XVI estime que le débat a eu lieu et que faire plus serait tomber dans le relativisme qu'il voit source de chaos, ce qui peut se produire, et d'arbitraire, ce qui est très contestable. Par contre, ce qui me parait difficilement contestable, c'est que l'absolutisation de la vérité, quelle qu'elle soit, a entrainé beaucoup plus de massacres que le relativisme. Refuser de débattre d'une question, c'est un aveu de faiblesse, de manque de certitudes dans ses convictions, alors que l'évolution des cultures, des civilisations, peut requérir des changements qui ne remettront pas en cause le message de l'Evangile.

* peur du changement, qui l'a conduit, à divers moments, à fonctionner comme une machine à fabriquer des brebis perdues :
- les républicains après 1815
- la classe ouvrière à partir de 1850
- les femmes après Humanae vitae
- les divorcés, surtout s'ils se remarient

* peur de la démocratie interne : une grande partie des avancées de Vatican II (collégialité, participation des laïcs,  recours aux synodes…) n'a-t-elle pas été oubliée ? Volontairement ?

* peur de ce fameux concile, dans la mesure où il a pris des libertés avec une certaine conception de la Tradition, celle que dénonce, à juste titre me semble-t-il, Pietro De Paoli dans son Vatican 2035 : la Tradition, tour dont les pierres, des Pères de l'Eglise jusqu'à Jean-Paul II, sont posées les unes sur les autres en visant le ciel, tour qui n'a qu'une porte, celle de Rome, pour accéder au Christ, il faut l'emprunter. Faut-il demeurer dans cette tour, formidablement gardée, ou bien suivre le Christ sur les routes. Ces routes sur lesquelles il n'a cessé  de critiquer les scribes et les pharisiens parce qu'ils gardaient l'Ecriture comme une relique figée, excluant tout regard nouveau.

* peur des femmes, je vous renvoie aux livres d'Elisabeth Dufourcq ou de Camille de Villeneuve

* peur de l'amour : alors que l'Eucharistie célèbre le plus grand acte d'amour de toute l'histoire universelle, pourquoi le canon de la messe n'emploie-t-il le mot qu'une fois, celui de miséricorde trois fois ? Alors que la puissance, la toute-puissance revient sept fois et le règne une fois. Et six mentions supplémentaires de la puissance dans la liturgie pascale du baptême.
C'est vrai que c'est plus facile d'enseigner la loi et la morale que l'amour, car l'amour, au-delà des  belles considérations intellectuelles, entraîne à donner l'exemple et l'exemple, Jésus l'a redit dans ses derniers enseignements, c'est d'être au service des autres jusqu'à risquer sa vie pour eux. C'est donc plutôt sur le terrain qu'il s'exprime que dans les bureaux romains. L'amour s'enseigne-t-il ? Sûrement pas dans les bureaux (les collaborateurs du pape  sont passés de 1100 en 1960 à 3500 en 1980). L'amour se vit. L'amour se voit.

Ecoutons le Livre de la Sagesse (17,12) : « La peur n'est rien d'autre que le retrait des secours de la raison ».

3 - I have a dream

Celui de Martin Luther King s'est réalisé, difficilement et partiellement, mais il a changé la face de l'Amérique. Sans lui, pas d'Obama. Compte tenu des pesanteurs, de deux mille ans de tradition, ne rêvons pas, pour l'Eglise romaine, ce sera encore plus difficile, plus lent, plus partiel. Sauf  si l'Esprit de Dieu prend les choses en main. Vigoureusement, mais ce n'est pas forcément son mode opératoire.

Je rêve d'une Eglise qui :
-    prie l'Esprit de lui ouvrir les yeux comme il a ouvert ceux de Paul
-    prenne au sérieux la relation entre primauté, incontestable, et collégialité, indispensable.
-    renonce à ses nostalgies de puissance, Dieu n'est pas du côté des forts
-    vende les trésors du Vatican au profit des pauvres car, « là où est ton trésor... » et entasser des Vinci et des Gréco dans des salles surprotégées, ce n'est pas répandre un parfum précieux sur les pieds du Christ.
-    pense amour et miséricorde avant de juger, de condamner
-    n'idolâtre pas les textes, ne les utilise pas comme instrument de pouvoir
-    parle sans langue de bois, avec l'obsession d'être comprise par son auditoire, quel qu'il soit
-    accepte d'autres civilisations les valeurs qui, parfois, lui manquent (le jeûne avec les musulmans, la méditation avec les hindous, le détachement avec les bouddhistes, le respect des anciens avec le confucianisme et bien des traditions africaines, etc)
-    sache voir les femmes comme femmes, pas seulement comme assistantes
-    traite ses fidèles en adultes responsables
-    ait l'obsession de la brebis perdue

Je rêve d'un pape qui :
-    ose imposer à tous les agents du Vatican une année au service direct des pauvres, dans ces lieux qu'on ne découvre pas sans douter de Dieu et des hommes
-    sache s'entourer d'un conseil permanent représentatif du monde réel
-    ose nommer une femme à un très haut poste au Vatican, même s'il faut pour cela le créer
-    ose dire que, parfois, il ne sait pas, il se pose des questions
-    ose faire le geste que personne n'attend, n'aurait imaginé (Paul VI en 75 et le métropolite de l'Eglise assyrienne)
-    renonce au décorum « Cour pontificale », lutte contre la papolatrie
-    soit accessible, au détour d'une rue, à l'aveugle, au clandestin, à la prostituée
-    n'abuse pas de sa récente infaillibilité, ni de l'inspiration d'un Esprit-saint couvrant tout le « Magistère authentique », préparant des contorsions à ses successeurs lorsqu'il leur faudra revenir sur telle ou telle position (contraception)
-    invente une canonisation « œcuménique », une appellation de Docteur de l'Evangile pour des figures de la société qui appartiennent à tous. De François d'Assise à Martin Luther King.
-    Finisse le travail d'examen, de repentance, entrepris par Jean-Paul II
 

Pour conclure, une seule question à la lumière de la tragédie du  Rwanda : un million de morts en trois mois, entre voisins, tous chrétiens :

Qu'est-ce qui fait que le christianisme puisse être chez les chrétiens une couche si superficielle qu'il s'est révélé incapable de prévenir puis de lutter contre les trois grandes barbaries qu'ont constitué l'esclavage, la shoah, le génocide rwandais ?

 

Xavier Larere
Juin 2010