Pour Dominique Leviel, en communion de pensée

   On sait le mépris des Judéens pour ces gens du Nord, de la province de Samarie. L’évangéliste Jean nous dit bien que les Juifs n’ont pas de relation avec les Samaritains (Jn 4, 9). Dans la bouche d’un Juif le mot même de Samaritain est perçu comme une insulte. Les relations entre les Juifs et ces métis, après avoir connu des hauts et des bas, s’étaient complètement détériorées à l’époque de Jésus, depuis ce jour, entre l’an 6 et l’an 9, où les Samaritains avaient souillé le Temple en y répandant, en pleine nuit et pendant les fêtes de la Pâque, des ossements humains. Depuis, les deux camps cultivaient l’un envers l’autre une haine inextinguible.  

Aussi, que Jésus entre en relation avec un ou une Samaritaine apparaît comme quelque chose d’inconvenant, déplacé. Et la parabole, rapportée par Saint Luc, est inouïe (Lc 10, 29-37) : le seul qui va se pencher sur un moribond devant lequel tout le monde est passé dans l’indifférence, c’est un Samaritain ! Jésus le donne en exemple, lui, le “Bon Samaritain”, a-t-on l’habitude de dire, est cependant l’étranger, qui appartient au peuple honni. Cela signifie que Jésus accorde à cet homme une reconnaissance à hauteur de celle qu’il accorde aux Juifs. Le Samaritain de la parabole va en effet accomplir le commandement d’amour de Jésus.

 

C’est encore Luc qui relate l’histoire des dix lépreux guéris, et qui souligne qu’un seul d’entre eux, encore un Samaritain, exprime sa gratitude à Jésus. Il n’appartient donc pas qu’aux seuls Juifs de manifester la charité.

Si, dans l’évangile de Matthieu, Jésus envoie ses disciples en mission, plutôt “vers les brebis perdues de la Maison d’Israël” qu’en empruntant “le chemin des païens et en entrant dans une ville des Samaritains” (Mt 10, 5-6), ça n’est pas que Matthieu soit moins ouvert aux Samaritains, mais que Jésus privilégie le peuple qui a le plus besoin de la Parole de Dieu. On peut cependant imaginer que Matthieu polémique avec les autorités juives qui n’ont pas adhéré au message de Jésus.

À l’évocation des Samaritains on pense spontanément à la rencontre de Jésus avec la Samaritaine près d’un puits (Jn 4, 1-42). 

Jésus et ses disciples arrivent du Nord, de la Galilée, et se rendent à Jérusalem. Ils traversent la ville de Sychar qui, vraisemblablement, correspond à Naplouse aujourd’hui. Les disciples se sont vus refuser le gîte, nous dit Luc (Lc 9, 52). Tandis qu’ils procèdent à quelques courses en ville, Jésus continue, jusqu’à un puits qu’alimente une source. Il y a là, courbée sur la margelle, une femme qui puise de l’eau. Jésus engage la conversation; la femme est interpellée. Elle est de Samarie. Le ton, les mots, l’attitude même de Jésus qui lui demande à boire, sont loin de ce qu’elle peut attendre d’un étranger, d’un non-Samaritain probablement, donc de quelqu’un qui cultive la méfiance plutôt que la sollicitude. Ils causent. De l’eau qui fait vivre. Alors la femme en vient à penser qu’elle a devant elle le Ta’eb, c’est-à-dire le Messie, tant attendu par Israël. Pourquoi pas ? Des Samaritains ont déjà rencontré Jésus; ils ont été si fascinés qu’ils ont prié Jésus de rester quelques temps chez eux, ce que Jésus a accepté, pour deux jours. 

Ce récit vient après l’évangélisation de la Samarie par Philippe (cf. Ac 8, 4-25). Jésus n’avait-il pas dit à ses disciples : “Vous serez mes témoins, à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie jusqu’aux extrémités de la terre” (Ac 1,8) ? Les Samaritains évangélisés se sont ralliés aux disciples. Justin de Naplouse est l’un d’eux, qui comptera comme l’un des meilleurs apologètes du IIe siècle.

 

Gérard LEROY, le 10 avril 2014