Pour Florin Dumitresu, en hommage amical

   Corrigeons d'abord une pré-compréhension fort répandue : la Franc-maçonnerie ne se donne pas pour une société secrète, mais pour une société détentrice d’un secret. C’est une fraternité, fermée. Ce n’est ni une religion ni un système philosophique. La Franc-maçonnerie se veut compatible avec toutes les religions, toutes les philosophies. De sorte qu’on peut apprécier la Franc-maçonnerie comme relativiste.

L’histoire de la Franc-maçonnerie est à rappeler. Elle s’origine dans les bâtisseurs de cathédrales de la période médiévale. Au XVIe-XVIIe siècle, l’Ordre maçonnique changea de caractère, substituant aux constructions en pierre du Moyen-âge l’idéal d’une construction intérieure chez l’initié. Succéda la période spéculative du XVIIIe siècle, avec la Grande Loge d’Angleterre, théiste, prêchant la tolérance confessionnelle. À la veille de la Révolution, naissait le Grand-Orient de France, adoptant alors la référence au GADLU (« Grand Architecte de l’Univers ») pour désigner le principe créateur.

Les choses changent au XIXe siècle. La Franc-maçonnerie adopte alors une activité radicalement politico-antireligieuse. Sous la IIIe République le Grand Orient, né peu de temps avant la Révolution, s’identifie comme « L’Église de la République », renforcé dans son caractère anti-religieux par le ministre Émile Combes (1902), qu’on affectait du sobriquet : « le petit Père Combes ». 

Quels sont les principes et les buts de la Franc-maçonnerie ? La Franc-maçonnerie a été accusée, au XVIIIe siècle, d’être au service, ou même l’instrument du service secret britannique, des juifs, de sociétés occultes, lucifériennes ou satanistes.

La Franc-Maçonnerie qui se revendique d’un système particulier de morale, n’est pas une religion, en ce qu’elle ne s’appuie sur aucune révélation. Elle se veut universelle, ce que le pape Benoît XVI perçoit comme la « dictature du relativisme » qu’il dénonce.

Les relations entre la Franc-maçonnerie et l’Église ont été longtemps conflictuelles. Au XVIIIe et au XIXe siècles les condamnations, pour des motifs, a-t-on jugé, politiques puis spirituels, se sont succédées (Pie VII et Léon XIII). Si, en 1981, un codex canonique condamnait les loges maçonniques hostiles à l’Église, le nouveau codex de 1983 ne reprend pas l’excommunication, et l’opposition de l’Église à la Franc-maçonnerie n’aurait plus, aujourd’hui, qu’un intérêt historique. 

Il convient de retenir que les Francs-maçons n’ont pas tendu la joue gauche à l’Église catholique. Sous la IIIe République (1870) la maçonnerie, soutenue par les protestants, devient le pilier de la République laïque, et s’apprête à « bouffer du curé ». L’anti-cléricalisme atteindra son apogée après 1918, avec une arme nouvelle différente, dans sa conception, de la loi de séparation de l’église et de l’État. La laïcité s’éloigne en effet de l’esprit du timonier de la loi de 1905, Aristide Briand. Car elle est alors présentée comme un système philosophique d’inspiration rationaliste qui professe une morale sans transcendance ni référence à aucun absolu. Quand surgit la bataille de l’école libre, en 1984, le Grand Orient monte au créneau pour rappeler au gouvernement que la République est laïque. C'est sur ce nouveau concept que s'appuie le Grand Orient. Le combat apparaît néanmoins d’arrière-garde.

Comme les chrétiens, les maçons sont humanistes. Les premiers exprimant une fraternité en regard de la paternité de Dieu ; les seconds, reprenant la célèbre formule de Protagoras (IVe s. BC) pour lequel « l’homme est la mesure de toutes choses ».  Notons cependant que les maçons de la GLNF (Grande Loge Nationale de France) sont plus imprégnés de spiritualité que les membres du Grand Orient qui s’affichent volontiers athées. La GLNF (affiliée à la Grande Loge d’Angleterre) demandait encore récemment aux postulants d’affirmer leur foi en Dieu pour être initiés.

Pourtant, un malaise subsiste, à cause des positions libérales des obédiences sur les problèmes économiques et culturels, à l’opposé des positions de l’Église, notamment en matière de contraception et d’avortement. Et puis, il faut l’avouer, parce que l’attitude de Rome n’a pas toujours été d’une clarté limpide. Et si le nouveau droit canon ne fait plus référence à une excommunication des Francs-maçons, le cardinal Ratzinger maintenait, alors qu’il était encore préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, sa condamnation de l’appartenance aux associations maçonniques.

On pourra toujours s’appuyer sur la parole de Jésus rapportée par Matthieu (Mt 6, 24) : « On ne peut pas servir deux maîtres à la fois ». On ne peut en effet servir Dieu qu’on aime, et servir dans le même temps l’autre qu’on hait. Mais le deuxième maître que désigne ici Jésus, c’est Mammon, l’argent. Le premier est l’absolu, dont tout dépend, et en premier le salut du monde. Le second ne l’est pas, mais cherche à l’être. C’est bien ce qu’observe le pape François en dénonçant l’Occident consumériste qui se soumet désormais à l’hégémonie de l’économie. Je renvoie ici à la fois au paragraphe 59 de l’encyclique Laudato si’, et au paragraphe 29 de l’exhortation apostolique Gaudete et exsultate.   

 

Gérard Leroy, le 29 octobre 2018