Le texte d’Ézechiel abonde en visions grandioses : le char aux quatre roues portant des animaux fabuleux dont les ailes soutiennent le trône (1, 4-9 ss); les ossements déssechés qui reprennent vie (37, 1-14); le Temple nouveau et le fleuve qui en sort (40-48).

La vision initiale

Tout a commencé par le ch. 1. Dieu apparaît dans un décor cosmique : le vent, l’éclair, le feu, l’orage, les animaux fantastiques, les symboles des forces de l’univers et les dieux païens, tout y est.

Ce qu’Ézechiel a vu c’est ce qu’avaient perçu Moïse et les anciens sur le Sinaï, ce qu’Isaïe a contemplé dans le sanctuaire; seulement, tout cela, Ézechiel le voit en Babylonie. Ce que Isaïe, au sortir de sa méditation, peut prêcher : “ Dieu est avec nous”, Ézechiel à son tour doit le dire : Dieu est avec nous, avec nous qui sommes aujourd’hui sur les bords du fleuve Kebar. “Yahvé-est-là” (48, 35b) est le nom qu’il faudra donner à la ville. Yahvé est au milieu de son peuple, à jamais; le prophète n’en découvre pas moins une extraordinaire nouveauté : que son peuple soit disséminé au sein des nations n’empêche pas Yahvé de l’assister, lui dont les choses crient ou révèlent l’universelle autorité.

 

Le jugement des pécheurs

Cette vision primordiale se produit à un moment d’agitation politique. À l’avènement du Pharaon Psammétique II une coalition antibabylonnienne s’était esquissée entre Jérusalem et l’Égypte (Jr 27-28). En fait, le Pharaon se tint à l’écart (Jr 51-59). Mais les esprits, chez les déportés comme à Jérusalem, n’acceptaient pas cette situation. Ézechiel, saisi de la présence obstinée de Dieu aux côtés des exilés (16, 61), dit et redit que Jérusalem sera détruite. Le motif ? Les multiples manifestations du péché d’Israël (18-22). Et le sens profond de ce péché c’est l’infidélité (16, 23-26).

L’ignorance du peuple a porté principalement sur la sainteté du nom divin. Apprendre à distinguer le saint du profane est l’une des préoccupations majeures du prophète (44, 23). Or Israël est dépourvu de la connaissance du Dieu saint (connaissance que réclamait déjà Osée). Israël a même profané le saint Nom (20, 13). Yahvé a donc décidé d’agir à cause de la sainteté de son nom (36, 21-22), afin que son Nom soit désormais reconnu saint par Israël (39, 7), et que la sainteté du Nom soit manifestée parmi les nations (28, 25).

Ézechiel développe longuement (18) les justes chemins,  le principe selon lequel chacun dans le domaine moral est désolidarisé de sa race et même de son propre passé; chacun est apprécié en fonction de la justice ou de l’injustice dans laquelle le trouve l’intervention de Dieu. Un tel principe permet au prophète d’introduire la perspective d’un Reste; du sein de la tourmente sortira un Reste, un petit groupe de ceux qui auront souffert de l’obsession croissante de l’idolâtrie (6, 8).

 

La prédication de l’espérance

Les événements se précipitent. En 587, alors qu’Ézechiel est déporté en exil depuis une dizaine d’années, Nabuchodonosor part à nouveau en guerre vers l’Ouest. Le début du siège de Jérusalem est marqué par deux actes symboliques du Prophète : avant la chute de Jérusalem par son mutisme portant symboliquement les péchés de son peuple (3, 22-24); après la chute sa manière de penser devient pastorale : il se fait le prédicateur réconfortant d’un salut.

 

La formation du peuple nouveau

Au milieu des siens Ézechiel travaille à former l’Israël nouveau. Israël va revivre, “ressusciter” (37), rassemblé par Yahvé sur la terre de Palestine où il retrouvera l’unité perdue au moment du schisme (37, 15-22ss). Alors ce peuple purifié par l’ablution d’eau et transformé par le don de l’esprit (11, 16-19) pourra célébrer le culte qui le rendra agréable à Dieu (36, 37).

Enfin dans une vision étonnante, Ézechiel entrevoit et nous décrit la situation qui sera. Il voit la cité future et le temple nouveau (41, 1; 43, 17), le culte qui y sera célébré (43, 18) et la Terre Sainte réorganisée comme une communauté liturgique, centrée sur le Temple. Communiant à cette présence par la célébration cultuelle, le peuple y reçoit une force capable de changer tous les hommes, de transformer l’Univers. C’est ce que symbolise le tableau de la source jaillissante, surabondante, près du sanctuaire, s’en allant fertiliser la région, guérir les maladies, vitaliser ce qui est mort (47, 1-12).

La vision d’Ézechiel ne laisse pas entendre que “Dieu habite désormais avec les déportés; elle dit simplement —et l’affirmation est considérable— que la présence efficace de Dieu est vraie en tous les lieux, donc en cet endroit où gémit le peuple exilé car Dieu n’a pas abandonné la fraction qui demeure en Israël. Dieu n’est pas à Babylone en s’étant absenté de Jérusalem.

De son témoignage prophétique retenons qu’il se plaît à penser le destin collectif de son peuple. La vie du peuple est assurée en vision au ch. 37, ainsi que la réunification d’Israël et de Juda. Puis les ch. 40 à 48 annoncent les grands axes de la renaissance nationale, le retour de la Gloire de Dieu dans son temple d’où sortira une source qui fécondera tout le pays.
Partant de ce que les membres de la communauté d’Israël sont tous descendants d’ancêtres païens, tous pécheurs, tous idolâtres dès l’origine, Ézechiel développe le principe de la “responsabilité individuelle” : le fils ne meurt pas des fautes de son père, en contradiction avec les précédentes théories (18, 19-20). Ézechiel voit la transformation du peuple accomplie par deux principes : le don d’un esprit, thème cher à certains courants prophétiques, mais aussi l’eau pure. Il définit encore de deux manières la relation qui unira Dieu à son peuple sanctifié : ce sera le don de l’esprit même de Dieu : “mon esprit” (36, 26-28).

 

Conclusion

Les auditeurs du prophète ont dû être déçus car très probablement ils espéraient entendre ce qu’ils désiraient profondément : le retour au pays, la fin de la souffrance conséquente à la séparation. Or pendant toute une première partie du livre le prophète dévoilera inlassablement et avec dureté le péché de son peuple et les conséquences inéluctables que seront la destruction de la cité de Jérusalem et une deuxième déportation, plus dure encore que la première.

Dans toutes les accusation portées par Ézechiel, plus que véhémentes, une faute apparaît reine parmi toutes : l‘idolâtrie. Le péché politique y est aussi longuement traité dans les ch. 17, 19, 23, ainsi que l’injustice sociale au ch. 22. Pendant la période comprise entre les deux déportations, alors que les exilés ne rêvent que du retour et baignent dans un optimisme illusoire, Ézechiel ne cessera pas de dévoiler le péché radical d’Israël.

Il est probable qu’Ézechiel, par l’insistance qu’il a mise à souligner les particularités inaliénables d’Israël, a aidé le judaïsme à se constituer, à se définir, à prendre conscience de lui-même. Et il est probable que le respect qu’il portait au Temple comme à la Loi a nourri l’espérance et la foi des communautés judaïques tout au long d’une histoire dont on sait qu’elle est parsemée de périodes tragiques.

Le Livre d'Ézechiel est d'une importance capitale. On ne manquera pas d'ailleurs de noter que l’auteur de l’Apocalypse se refère abondamment au Livre d’Ézechiel (56 citations), et reprend même le vocabulaire utilisé par le Prophète. On dirait que l’ouvrage johannique se présente comme une réinterprétation chrétienne du livre de Prophète.

 

 

Gérard LEROY